Juliette BOUCHERY

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Billet de blog 28 janvier 2021

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Colonisation, contrechamp

Il y a eu ces colonisations, et ces crimes. Les années à venir risquent de réserver quelques surprises à ceux qui perçoivent encore une différence de nature entre les populations de différents endroits du globe.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À la lecture du billet de blog (à mes yeux magistral) de Olivier Le Cour Grandmaison, Sur le rapport de Benjamin Stora, un rapprochement m’a sauté aux yeux. Un rapprochement que ledit auteur n’admettrait peut-être pas mais que je partage ici.

Il y a eu ces colonisations, et ces crimes. Tout cela s’est appuyé sur l’idée que les populations des pays colonisés seraient essentiellement autres : leur couleur de peau, leur « niveau de civilisation », leur nature « peu évoluée », bref, toutes sortes de rationalisations grotesques visant à faire admettre l’entreprise. Qu’ils seraient autres, et inférieurs.

Et ici, aujourd’hui ? Aux yeux des dominants, nous, les petites gens, nous sommes aussi, fondamentalement, autres. Nous sommes des statistiques (agaçantes), des paramètres (dérangeants), une force de travail qui la ramène trop et qu’il faudrait payer beaucoup moins pour s’en sortir. Nous sommes une charge.

Ceux qui sont hors du cénacle, ceux pour qui les codes en vigueur chez les dominants ne vont pas de soi, ceux qui ne sont pas sur les mêmes échelons, groupés en haut de l’échelle, sont de nature autre, et inférieure. Cela se révèle parfois dans le discours, dans ces petits mots qui tombent de très haut (Jojo-le-gilet-jaune, les illettrées de Gad) – prenons-nous réellement la mesure de ce qui se dit là ? Voyons-nous bien qu’à leurs yeux, nous ne sommes franchement pas dans la même humanité ?

User avec une cruauté et une indifférence absolue des corps des populations colonisées, torturer, spolier, violer, massacrer en Algérie, casser tous nos filets de sécurité, mettre des gens à la rue ou les y laissent, faire éborgner, éclater les crânes par la police… ce sont les mêmes mécanismes. Les forces en présence sont les mêmes, le mépris est le même, ce sont les mêmes dominants et les mêmes intérêts.

Ici, on possède déjà le territoire. La population est aux ordres, on estime pouvoir en faire ce que l’on veut, exploiter sa force de travail et sa consommation. Pour faire passer la pilule, on la morcèle (où est passée la classe ouvrière ?), on l’angoisse, on la tétanise d’injonctions contradictoires, on lui propose des boucs émissaires, on l’assomme de propagande absurde (le ruissellement !). Aujourd’hui, l’autre, l’ennemi, c’est nous : nous sommes à cette place. La population, les gens ordinaires, ceux dont le niveau de vie a bien bénéficié des colonisations précédentes, est à présent la population qu’il faut faire marcher droit, qui n’a pas voix au chapitre, qu’il faut mater.

Nous n’avons pas atteint le niveau d’horreur qu’ont enduré les populations colonisées, mais cet ordre a déjà largement tué - et poussé au suicide. Les années à venir risquent de réserver quelques surprises à ceux qui perçoivent encore une différence de nature entre les populations de différents endroits du globe.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.