Quand on analyse la résistance du béton, d'accord, les variables sont identifiables et contrôlables (quoique les fraudes et entourloupes scientifiques n'ont jamais, paraît-il été aussi nombreuses qu'aujourd'hui). Dès qu'on aborde les sciences du comportement en revanche…
Je viens de lire un texte édifiant qui éclaire, entre autres, l'expérience de Milgram (celle des décharges électriques croissantes que des cobayes infligeaient à des compères, l'expérience visant à mesurer la soumission à l'autorité). La conclusion officielle, aujourd'hui gravée dans nos certitudes, est que n'importe qui ou presque, mis en situation, est capable de tuer du moment qu'on lui en donne l'ordre. Or la description du protocole de l'expérience semble indiquer que les sujets voyaient bien qu'il s'agissait d'une simulation ; ils y allaient donc avec entrain. Et pas tous !
Sur les terrains glissants du comportement, les variables sont innombrables, difficilement contrôlables, et on peut faire ressortir ce qu'on veut de ses résultats. Les situationnistes Milgram et Zimbardo (celui de l'expérience Stanford) ont fait des démonstrations de ce qu'ils pensaient déjà plutôt que de véritables expériences.
Mais leurs conclusions, nous y croyons ! Tout comme nous croyons toutes sortes d'affirmations véhiculées par des scientifiques. Je reproduis ici un extrait d'un échange que j'ai eu avec un autre blogueur dans le cadre des récentes discussions sur le consentement sexuel et plus largement la domination masculine. Qu'il m'excuse de le reproduire ici, je ne cite pas son pseudonyme et son commentaire était, après tout, public puisque déjà publié sur ce site :
« On ne peut pas dire que les hiérarchies actuelles sont une conséquences du patriarcat capitaliste; les homards existent depuis 350 millions d'années, Ils fonctionnent à la sérotonine comme nous, possèdent un système nerveux parfaitement adaptés à la hiérarchie sociale . Ils sont tellement similaires au notre qu'ils répondent aux mêmes types d'anti-dépresseurs. Le concept d'hiérarchie n'est pas une construction culturelle. Il est inévitable qu'il y ait une continuité dans la manière dont les animaux et les hommes s'organisent en structure. Un tiers de milliard d'années d'évolution l'explique.
Non, la culture occidentale n'est pas une structure oppressive créée par les hommes blancs pour dominer et exclure les femme. La source originelle de l’oppression des femmes est la nature (la grossesse et les menstruations qui rend vulnérable) et non l’homme. Et l’identité sexuelle n’est pas une construction sociale, mais une réalité biologique que 98 % des gens acceptent très bien.
Je ne croit pas aux prétendues différence de management entre les hommes et les femmes, plus vous montez dans la hiérarchie, plus la concurrence est rude et simplement, plus les femmes se comportent comme des hommes. Plus vous grimpez dans l'échelle sociale, plus votre niveau de sérotonine augmente, plus vous ressentez des émotions positives, un renforcement narcissique et plus vous êtes accro au pouvoir. Ces mécanismes sont très bien identifiés en neuroscience. »
Bon. Passons sur le glissement de « toute vie est structurée » à « toute structure est forcément hiérarchique ». Nous apprenons ensuite que « l'identité sexuelle n'est pas une construction sociale » et là, ma foi, on tombe dans le négationnisme de tout un champ d'analyse. De ce fait, bien sûr que l'auteur « ne croit pas » aux différences de management entre les hommes et les femmes. Ces différences existent, je le sais pour avoir traduit les sources dans le cadre d'une thèse sur l'entreprenariat des femmes. Dans des entreprises importantes dirigées par des femmes (où ces femmes étaient réellement à la barre, sans avoir de comptes à rendre à des actionnaires), les différences étaient évidentes : on voyait davantage d'horizontalité, de délégation dans les décisions ; un souci d'aménager le quotidien et les rapports avec les employés, les clients et les fournisseurs plutôt qu'un désir de croissance…
« La science » et même « les neurosciences » ne tiennent pas compte de ces données. Elles les ignorant superbement et arrivent donc à des résultats biaisés, partiels, mais qui influencent les consciences… et contribuent à l'attitude générale envers les femmes. Des hommes comme le commentateur ci-dessus, qui est peut-être un scientifique. Des hommes comme Jordan Peterson, très écouté sur internet. Ils assènent tranquillement des « vérités » telles que : non, il n'y a pas d'écart de salaire entre les hommes et les femmes (Peterson). Non, il n'y a pas de discrimination contre les femmes. Non, finalement, les hommes n'oppriment pas les femmes. C'est prouvé scientifiquement.
Alors, la science, bastion du patriarcat ? Historiquement, « la science » a beaucoup à se faire pardonner, à commencer par l'accaparement, disons le vol pur et simple des travaux de tant de femmes. Essayons tout de même de ne pas oublier que toute domination est in fine politique, et que toute affirmation a des retombées politiques. Quand on nous dit « c'est prouvé scientifiquement », essayons de voir si c'est prouvé socialement.
Source remettant en cause l'expérience Milgram : http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=180011
Quant aux études sur l'entreprenariat des femmes, je demanderai si vous le souhaitez à l'auteure de la thèse de me redonner les auteurs qu'elle citait – dont j'ai oublié les noms.