
Réveillez les Français ! C'est par cette gaillarde injonction que le président aurait, selon les gazettes, exhorté ses ministres lors du premier conseil réunissant le nouveau gouvernement. Il vrai que le pays semblait bien assoupi, privé de vitalité, découragé sous les assauts réunis d'une crise économique immuable et d'un terrorisme meurtrier. L'Etat policier se renforçait sans que la population ne ronchonne trop, à peine grognait-elle à la marge, vaincue par l'inexorable force d'une situation de fait qu'il fallait bien accepter selon les sermons que dispensaient les médias. L'esprit petit-bourgeois neutralisait efficacement les consciences apeurées, que ne cherchaient pas à secouer des syndicats apathiques, le nombre de miséreux augmentait bellement tandis que la carrière militaire enthousiasmait à nouveau une jeunesse désœuvrée et que les gamins au chômage pouvaient faire flics, ou vigiles s'ils étaient Noirs. Tout allait donc pour le mieux et l'on se demande ce qui a pu passer par la tête du président lorsqu'il claironna l'heure du réveil.
C'est à coups de matraque que le chef du gouvernement s'est appliqué à obéir au président « de gauche » en croyant obéir au MEDEF néoconservateur. Pluie de bastonnades sur le dos des plus fragiles, des migrants, des réfugiés, des Roms, et destruction des bidonvilles par des entreprises privées avec le concours musclé de la force publique. Volée de bois vert sur la tête des travailleurs que l'on spolie de la législation les protégeant des abus patronaux. Assignation à résidence des contestataires de toutes barbes. Déstabilisation d'une éducation encore trop nationale, pas assez privatisée au goût du capital. Discrimination des binationaux. Un édile suggère le bénévolat obligatoire contre l'allocation sociale. Une autre prive les sans-papiers de carte de transports et les prisonniers de formation professionnelle. Un autre encore est fier de constituer une milice dans sa bonne ville. Partout on pavoise en bleu blanc rouge. Et le ministre de l'Intérieur, ce grand humaniste, arme la pire racaille des poulets de fusils d'assaut. Avec ce régime de cheval on aurait pu croire la population définitivement muselée et gisant sur le flanc.
Mais à la stratégie du choc résolument mise en œuvre par le MEDEF avec l'aide de ses sbires politiques placés à la tête des ministères et jusqu'aux territoires les plus reculés, le président, en baudelairien qui s'ignore, a-t-il préféré la leçon de l'auteur d'Assommons les pauvres ? Car, tel le mendiant qui tendit son chapeau au poète maudit et reçu en guise d'aumône une vigoureuse bastonnade pédagogique, la population assommée sous les sales coups de ceux qui prétendent la représenter commence à réagir, se redresse, retrouve « l'orgueil et la vie.» Et se défend. Des gens ordinaires portent secours aux réfugiés, on manifeste en masse à Notre-Dame des Landes, on s'organise par-dessus les syndicats fossilisés pour décider d'une grève, une secousse générale ébranle le pays que l'on croyait en état de mort cérébrale. On ne sait encore si cette « haine », que l'impudence des politiciens accointés aux profiteurs a su allumer dans les prunelles enfin éveillées des populations meurtries, sera vraiment de « bonne augure », ou si elle conduira à de plus noirs demains. À nous de forcer l'aurore à tenir ses plus belles promesses.