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Il ne peut s'empêcher de regarder ce visage, encore. Il le scrute comme s'il ne l'avait jamais vu mais ses yeux patinent sur la photo trop lissée de la femme blonde, qui sourit sur fond bleu blanc rouge : non, il n'y a rien à voir, rien à lire sur ses traits. Si les salauds pouvaient tous avoir une sale gueule, et pas ce masque indéchiffrable sous lequel se dissimule le pire. De l'index, il fait glisser l'image sur l'écran et lit le gros titre en-dessous. C'est une citation : l'Euro est mort, dit-elle. N'importe quoi, pense Maxime. Mais on appelle son vol et il se lève, se dirige vers la porte d'embarquement.
Il est songeur. Que peuvent-ils espérer de ce sinistre personnage, les millions qui votent pour elle ? Pourtant, ça ne va pas si mal dans le pays. Des opportunités, il y en a, surtout pour les jeunes. Suffit de se bouger un peu. Il faut faire sa vie soi-même, être actif et ne pas attendre que les autres vous la fasse : c'est ce que lui répète son père. Il a raison.
Maxime a toujours aimé les voyages, depuis qu'il est gosse. Il est comme son père : le vieil ingénieur n'est jamais plus de trois semaines de suite à la maison ; sinon il étouffe, pense Maxime. Erasmus, stages et petits boulots : à vingt-quatre ans Maxime connaît les plus grandes capitales d’Europe, quelques villes des États-Unis, le Canada. Il a noué des liens avec d'autres étudiants un peu partout dans le monde, certains ont maintenant de bons postes à l'international. Il sait quoi demander à qui, c'est un atout pour son futur recrutement qui ne l’inquiète pas vraiment : il est apprécié de tous.
Aujourd'hui, il s'envole pour Francfort : deux mois de stage au service management de Nestlé. Il a découvert par hasard que la cheffe de projet est une vieille amie de sa mère, elle l'accueillera à l'aéroport. En septembre prochain, il partira pour six mois au Japon. Ce n'est pas si compliqué de se démerder. Il faut bosser, bien sûr, et se renseigner, se tenir au courant, aller au contact des autres. Si on reste chez soi à glander en déprimant, comment ça peut marcher ? Avec quelques bourses d'études et l'aide de ses parents, Maxime a l'énergie, l'argent et la liberté. Quelle idée de vouloir se replier entre les frontières de ce petit pays !
Maxime se défonce au travail pour rester premier de sa promo. Boire, draguer, faire la fête, il ne s'en prive pas, surtout le week-end quand il est à l'étranger, ou en vacances. Il veut faire en sorte de ne rien regretter avant le mariage, la contrainte des enfants, les responsabilités forcément bloquantes. Mais il sait qu'il gagnera assez bien sa vie pour continuer à en profiter, du moins il fait tout pour, alors il ne redoute pas la crise de la trentaine.
L'important, c'est d'avoir toujours des projets, affirme-t-il. Maxime n'est encore jamais allé en Afrique et espère trouver un poste d'expat, après, quand il reviendra de Tokyo. Bouger, bouger. Être ailleurs, être loin, là-bas, et oublier le visage blême de celle qui hante les écrans ici.
Dessin de Béatrice Boubé
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