Métamorphoses du bon sens

En me réveillant un matin après des rêves agités, je me retrouvai dans mon lit, enfin métamorphosé en individu productif. De longues heures passées sans rien faire devant mon écran de télévision, suivies d'une nuit qui, comme disait ma grand-mère, porte conseil, m'avaient redonné du bon sens et remis sur les rails de la droite voie : celle de l'augmentation infinie de ma productivité. Jusqu'alors, je n'avais vécu que comme vivent les cafards, je n'étais qu'un parasite profitant honteusement de la prodigalité coupable d'un État qui n'avait plus les moyens d'être providence. Mais ces temps de laisser-aller obscène n'étaient plus : j'étais devenu un individu productif et, repoussant la mollesse d'une couette trop tiède, me dressai sur mes deux jambes, prêt à produire. C'est alors que mon cerveau alerte produisit sa première question : que diable vas-tu donc produire ? me demanda cet éternel producteur d'angoisses existentielles qui nuisent à la productivité du travailleur. Tu as déjà produit plusieurs centaines de CV qui n'ont produit aucune réponse positive : ta recherche d'un emploi productif s'est avérée totalement improductive, la chaîne de production de boulots est arrêtée, alors ? Tu n'as rien compris, lui répondis-je du tac au tac ! Je vais devenir le producteur le plus productif, un véritable entrepreneur de... consentement! Je produirai de l'acceptation par tonnes, de l'approbation comme s'il en pleuvait, je serai le béni oui-oui le plus fécond, le plus efficace des suiveurs, le plus consensuel des unanimes ! Je serai d'accord sur tout et sur son contraire, j'applaudirai des deux mains, je deviendrai le plus compétitif des producteurs d'éloges, leader sur le marché de l'assentiment ! Tu vas devenir... ministre ? Mon cerveau s'inquiétait pour sa santé mentale. Mieux que ça ! le rassurai-je. Je vais me reconvertir en... miroir ! Le plus beau, le plus étincelant des miroirs de la salle de bains de Matignon ! Et toi, paresseuse cervelle, tu pourras enfin réfléchir de manière productive !