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Billet de blog 3 avril 2016

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Bol d'air à Boboche

Hier a eu lieu le quatrième parrainage de jeunes majeurs scolarisés, sans papiers, organisé par le RESF de Seine-saint-Denis.

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Illustration 1
Lycéennes et lycéens lors de leur parrainage. Bobigny 2 avril 2016 © Gilles Walusinski

Pourquoi c'est grave de pas avoir des papiers ? s'interroge un garçon de onze ans tout en gobant ses frites. À cet âge fugace du début de l'adolescence, au seuil grand basculement dans l'oubli de sa propre enfance, on se pose les bonnes questions. Du monde que construisent autour de lui les adultes, le jeune ado ressent avec la plus grande force toute la brutale absurdité.

Demande-leur, mon fils, pourquoi ils y tiennent tant à leur fiction de frontières. Pourquoi les drapeaux, pourquoi les hymnes guerriers, pourquoi les murs et les barbelés autour des petits lopins de boue qu'ils appellent leur nation ? Pourquoi les lois empêchent les femmes et les hommes de circuler librement ? Pourquoi les administrations kafkaïennes ? Pourquoi les chicanes, les brimades, les enfermements et les expulsions y compris d'enfants ? Pourquoi les sévices envers les étrangers qui sont ici puisque la vie les y a conduits et n'espèrent rien de plus que mener une existence d'humains parmi les humains ?

Parce que c'est comme ça et qu'on n'y peut rien changer, te répondront-ils d'un air hautain ou désolé. Il faut admirer l'armée, respecter les lois, la police et l’État, saluer le Premier ministre bien poliment si tu as la malchance de le croiser, même s'il représente tout ce que tu détestes et que tu n'as qu'une envie c'est de lui décrasser le museau pour en ôter l'air de suffisance. C'est la République, aux armes etc. Pour elle un Français doit mourir à Verdun comme ailleurs. Sinon voilà l'anarchie, cette horreur du refus du chef et du pouvoir ! La République mon cul, si elle est si peu accueillante, si peu égalitaire, si peu libre et tolérante, si peu ouverte sur le monde comme sur les Hommes, si c'est la République de la matraque et de l'oppression, de la guerre. Mais le garçon a filé jouer avec ses copains dont il se fout de savoir s'ils ont des papiers.

Bobigny, bourse du travail. L'occasion de prendre un bon bol d'air frais, chassant pour un couple d'heures les miasmes d'une société dominée par le rejet des étrangers, par la peur de l'Autre. Hier avait lieu le quatrième parrainage de jeunes majeurs scolarisés, sans papiers, organisé par le RESF de Seine-saint-Denis. Trente et un-e lycéennes et lycéens, venus du monde, ont été parrainés et marrainés par un-e membre de la société civile et un-e élu-e. Les parrains et marraines s'engagent à aider et protéger leur filleul-le sur le chemin plein d'embûches de leur régularisation.

Illustration 2
Lecture du récit collectif © Gilles Walusinski

Ils étudient, ils ont des amis : trente et un jeune comme les autres ? Non. Il leur manque ces maudits papiers dont un gamin de onze ans ne voit pas l'intérêt, mais dont la privation peut mener à subir les violences du centre de rétention et de l'expulsion. Alors ils vivent dans la peur d'être arrêtés, ils ne peuvent pas aller et venir à leur gré, ils sont coupés de leur famille loin, là-bas. Ils ont l'impression d'être en faute, mais coupables de quoi ? Simplement de vivre ici et maintenant. Ils ont raconté leurs histoires, confié leurs sentiments, leurs espoirs dans la lecture d'un texte collectif qui sera je l'espère largement diffusé.

La cérémonie fut cordiale, émouvante et militante. À la tribune, parmi d'autres élues qui ont fort bien parlé, Marie-Georges Buffet a remercié les simples citoyens qui se mobilisent pour que soient respectés les droits des êtres humains dont ce pays s'enorgueillit d'être Le pays. La députée a observé que le travail des bénévoles serait grandement simplifié s'il était relayé à l'Assemblée par une action des élus en faveur d'une législation plus favorable aux étrangers. Juste remarque. Si les soi-disant représentants du peuple agissaient dans l'intérêt et le respect des populations et du bien public, et non dans celui du capitalisme totalitaire, on finirait peut-être par l'aimer vraiment, la République. Sait-on jamais.

Illustration 3
Un des 31 parrainages et marrainages © Gilles Walusinski
Illustration 4
Élues qui ont fort bien parlé et membres très actives du RESF © Gilles Walusinski

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