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Billet de blog 4 février 2016

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Honneur aux Hellènes

Et voilà que l'idée d'un nouveau chantage se forme dans la tête de l'Europe, jamais à court d'imagination quand il s'agit d'humilier la Grèce qui a osé, un jour, lui dire non.

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Illustration 1
Distribution de nourriture à Athènes © Francetvinfo

Saoulés de beaux discours pleins d'humanité, pomponnés, bichonnés et photographiés dans leur gloire modeste, cajolés pas plus longtemps que le quart d'heure médiatique qui leur sera consenti, les habitants de l'île de Lesbos se réjouiront de l'émouvant prix Nobel de la paix dont on les gratifiera peut-être, non sans ithos et pathos. Puis ils s'en retourneront chez eux, les yeux pleins d'étoiles, fiers d'être si bien distingués planétairement, par de si nobles messieux-dames et par un si bel hochet.

Ils s'en retourneront chez eux, la tête pleine de mots qui sont comme du vent, aussi mordants sous le miel que le souffle qui pousse les bateaux des migrants sur les flots amers, vers cette terre d'Europe qui les rejette, pour s'échouer, exsangues et terrorisés, dans les bras accueillants des habitants de Lesbos. Les bonnes âmes du monde auront fort applaudi les héros, mais pendant le spectacle, le business continue as usual.

Je me souviens de la Grèce, ce pays qui tenait tête à des créanciers aussi avides qu'illégitimes, qui disait non au très autoritaire ministre des finances allemand, qui voulait imposer aux instances européennes une renégociation de sa prétendue dette. Nous acclamions alors ses dirigeants nouvellement élus et nous les trouvions grands, beaux et forts. On crut un instant que le mot peuple avait encore un sens, comme celui de démocratie. Puis, tels les dindons déplumés d'une triste farce, nous sommes revenus penauds et le cul rougi de notre claironnant enthousiasme. Et nous avons oublié la Grèce, ce pays qui meurt de faim, de froid et de maladies sous le joug des financiers et de l'Europe, ce pays où débarquent chaque jour des centaines de migrants fuyant la guerre et la misère. Sur les plages de Lesbos, les rafiots d'infortune se succèdent et se multiplieront les beaux jours revenus ; les réfugiés s'impatientent qu'on les laisse enfin continuer leur chemin, et il faut vivre sans les touristes qui ont déserté, mais avec tout un flot de bourgeois de bonne volonté, d'associatifs en goguettes, de membres d'ONG et de pipoles au grand cœur joyeusement mêlés à toutes les espèces de profiteurs.

Et voilà que l'idée d'un nouveau chantage se forme dans la tête de l'Europe, jamais à court d'imagination quand il s'agit d'humilier la Grèce qui a osé, un jour, lui dire non. L'accusant de ne pas accomplir avec suffisamment d'application son boulot de trieur des bons réfugiés et des autres, on la menace de la sortir de Schengen puis on conditionne un léger aménagement de l'application du mémorandum contre une meilleure efficacité des Hellènes pour barrer la voie aux réfugiés vers l'Allemagne. Le petit retraité grec doit toujours mourir, mais il aura un peu de sursis s'il partage encore les raisins secs de sa misère avec les milliers de migrants que les électeurs de madame Merkel ne veulent pas voir dans leur jardin. Ils auront faim ensemble. Dommage, il paraît que le prix Nobel de la paix n'est même pas en chocolat.

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