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Billet de blog 4 mars 2016

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Stylist, le torchon qui pue

Le fric ne recule devant aucune bassesse.

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Illustration 1
Une de Stylist © Stylist

Station Mairie de Montreuil. Gros nuages, pluie fine, vent d'hiver : c'est glacial. Une femme maigre aux grands yeux noirs est assise en bas des escaliers, entourée de deux gamins qui piaillent, impatients de manger l'orange qu'elle est en train d'éplucher. Ils sont en plein courant d'air froid mêlé à la poussière de la rue et du couloir, n'ont pour se protéger que quelques couvertures très minces.

Dans le wagon, éparpillés, traînent déjà sur les banquettes des exemplaires d'un magazine gratuit. Stylist, ça parle de mode et de luxe mais pas seulement, ça se veut «engagé », c'est fait pour les femmes modernes. En Une, la photographie d'un croissant bien doré. La titraille annonce une critique des lève-tôt. Je ramasse, je feuillette. Et la nausée me prend, qui durera plus longtemps qu'un voyage en métro.

Entre les pubs pour fringues, les parfums et les cosmétiques hors de prix : des textes à la prétention d'articles ou de chroniques. Je lis, page 20, un billet signé Audrey Diwan, directrice éditoriale de Stylist. J'apprendrai plus tard que la dame est écrivaine, journaliste, et scénariste. Audrey s'indigne de la situation des « apatrides » dans la « jungle » de Calais, dont la pensée lancinante vient passablement perturber la douceur des vacances avec les enfants, et le plaisir à savourer les vers de Joachim du Bellay, Heureux qui comme Ulysse, que doit opportunément apprendre la petite, « élève consciencieuse ». Elle est submergé par la honte, Audrey, et est bien décidée à garder les yeux ouverts, parce qu' « aucune forme de confort ne justifie de vivre à l'aveugle ». C'est beau, c'est émouvant, même s'il faudrait revoir la définition du mot « apatrides », qu'Audrey emploie indûment pour ne pas écrire migrants ou réfugiés.

Je tourne la page. Un sac à 1660 euros. Une série de photos de mode en noir et blanc intitulée « Être en cabane ». Le journal précise avec un humour fin que « même à l'ombre, nulle de devrait renoncer à une forme d'élégance toute citadine ». Je n'ai pas la curiosité de regarder les prix des fringues ainsi proposées aux taulardes des paillotes de plages exotiques. Suit la critique, annoncée en Une, des lève-tôt : le réveil aux aurores (pour les bourgeois) est « la dernière conquête capitaliste » à laquelle il est impératif de résister sinon « la France va s'en mordre les doigts.»

Page 46, je tombe sur un portrait de « La Princesse des Roms ». Chapô : « Ana Radu, la petite-fille du roi des Roms, a refusé de se marier pour lancer sa marque». Je n'ai pas eu le courage de lire la totalité de l'article mais ça commence (mal) comme ça : « Si cendrillon était réincarnée en Transylvanie, ce serait probablement Ana Radu, la créatrice de mode que le Tout-Bucarest s'arrache. Promise en mariage à 14 ans, elle est la petite-fille du roi des Roms, Ion Cioaba, et sur ses frêles épaules repose la réputation de son clan, issue de l'ethnie rom des chaudronniers nomades. » Voilà la solution! Les Roms n'ont qu'à se lancer dans la mode pour sortir des couloirs du métro. Ces lignes sont de la plume subtile de Benedetta Blancato, écrivaine, journaliste, ainsi décrite sur le site de Calmann-Lévy, son éditeur : « Après un détour dans la mode assez long pour en arriver à détester le champagne, Benedetta Blancato est aujourd’hui journaliste spécialisée dans les sujets mode et société. Elle collabore régulièrement à Stylist, Lui, Les Inrocks, Vice Italie, Marie Claire Italie. » 

Le fric ne recule devant aucune bassesse. La souffrance et la misère des migrants, des Roms, des prisonniers, sont utilisées par Stylist pour vendre les produits de luxe dont les publicités lui rapportent un max. Une recherche rapide m'apprend que le titre Stylist appartient à Evelyne Prouvost (groupe Marie-Claire), la petite-fille ultra-riche du collaborationniste Jean Prouvost, frappé d'indignité nationale à la Libération. Indigne est un mot trop faible.

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