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Billet de blog 4 juin 2015

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Culture de la crise

Vive la crise ! s'écria jadis un crooner sur le retour. L'ex-chanteur de fond aux yeux de velours, converti en zélote béat du libéralisme, exhortait les petits-bourgeois réunis comme à la messe devant leur télé à se sortir les doigts du fion : «C’est vous et vous seul qui trouverez la solution! Il n’y a pas de sauveur suprême, il n’y a pas de Superman, c’est vous, prenez-vous par la main et avancez! »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vive la crise ! s'écria jadis un crooner sur le retour. L'ex-chanteur de fond aux yeux de velours, converti en zélote béat du libéralisme, exhortait les petits-bourgeois réunis comme à la messe devant leur télé à se sortir les doigts du fion : «C’est vous et vous seul qui trouverez la solution! Il n’y a pas de sauveur suprême, il n’y a pas de Superman, c’est vous, prenez-vous par la main et avancez! »

Au boulot les chômeurs ! La crise économique, ce machin qui casse les pieds et le moral, y'a qu'à se remonter les manches pour en faire de l'or en barre. Fastoche. Plus de trente ans après la mémorable et pathétique émission, la crise est toujours là mais la recette magique n'a pas changé pour les combattants de la réduction de la dette et les champions du capitalisme comme unique horizon.

« Des vaches maigres, faire chou gras », c'est la tritraille agricole qu'a choisi le Monde pour son enquête sur le spectacle vivant en temps d'austérité (édition du mardi 2 juin). « Et si la crise était l'occasion pour le spectacle vivant de se réinventer ? » Avis à tous les râleux des baisses de subventions publiques aux théâtres, festivals et compagnies : arrêtez de jouer les victimes et réinventez-vous un peu les pleurnicheuses ! Prenez-exemple sur les planteurs de carottes, l'autre métier de la culture, et changez de paradigme en mutualisant vos efforts dans le champ de l'économie sociale et solidaire. AMACCA, SCOP, associations, y'a le choix ! Et pour vous financer un peu, puisqu'il paraît que vous mangez trois fois par jour, au lieu de tout réclamer de l'état et des collectivités territoriales qui ont déjà tant de ronds-points à payer qu'ils n'en peuvent mais, allez vous chercher des mécènes dans le BTP. Pour survivre, faut savoir se vendre, coco !

D'ailleurs, nous assure le quotidien du soir, les premiers intéressés, ces fameux intermittents qui profitent assez comme ça du système, en ont marre du confort des subventions et des centres dramatiques trop douillets. Tout ce luxe de la dépendance aux deniers publics ruine leur créativité. Car on sait depuis toujours qu'un bon artiste est d'abord un artiste pauvre. Qu'il en bave des ronds de chapeau, le bohême, qu'il mange le pain que le diable à pétri, c'est là le secret du renouvellement de son inspiration. Et puisque l'inconfort est créatif, il suffit de produire de la précarité pour que le pays retrouve ses artistes maudits dont la misère fait tout le piquant de la légende mondiale.

Et ça marche ! se réjouit le journal tout en empochant ses seize millions d'euros de subventions à la presse parce que le Monde, lui, n'a pas besoin de danser devant le buffet pour imaginer la soupe néolibérale qu'il sert quotidiennement. Le théâtre public des grandes villes, forcément élitiste et forcément chiant, crève dans la graisse de tant d'argent public versé en vain puis d'un coup retiré, tandis que les petites troupes de province, élevées au pain sec et à l'eau du mécénat privé, font la joie de nos villages aux mille ronds-points. Elle est tellement chouette qu'on voudrait qu'elle dure toujours, la crise.

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