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Billet de blog 4 octobre 2016

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Montreuil. Les familles Roms encore expulsées

Dix semaines à la rue. Les familles Roms expulsées le 28 juillet du boulevard de la Boissière ont été de nouveau expulsées hier, de l'arrière du théâtre où elles avaient trouvé refuge. Le froid tombe sur la ville et sur les personnes toujours sans abri. Mais il n'y a ni responsable, ni coupable.

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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski

Quand nous arrivons au campement, il n'y a déjà plus rien. Nous avons couru pourtant. Mais au lieu de l'attroupement de tentes où s'abritaient les treize familles Roms expulsées de la Boissière, le pavé nu. Et Sonia, qui balaye l'arrière du théâtre. Et les ouvriers de la voirie qui s'appliquent à faire tenir dans la benne ce que les expulsés laissent derrière eux. On a surnommé « L'enfermé » le socialiste révolutionnaire Blanqui tant il a passé d'années en prison. « Les expulsés », ce sont les Roms sans cesse chassés du bout de trottoir où ils se posent faute d'avoir jamais une maison à eux : les Roms, ces enfermés dehors.

J'avais accompagné Manu faire sa déclaration d'impôts puisque c'est si important de faire sa déclaration d’impôts quand on veut vivre une vie normale en France, même à la rue. Deux autres familles avaient rendez-vous au CCAS. Les enfants à l'école, des femmes et des hommes partis au travail. Évacuation facile pour les flics qui débarquent à neuf heures et demi alors que le camp est à moitié désert. Quand nous arrivons à onze heures, essoufflés, les caddies et les poussettes débordant de ce qui a pu être sauvé de la destruction sont roulés de l'autre côté du théâtre, sur la place de la mairie. J'avise Meda qui tient pendus au bout de chaque bras Alberto et Miruna, les cousins d'un an : je lui montre deux chaises un peu bancales mais qui peuvent encore servir. Qu'est-ce qu'on fait de ça ? je lui demande, avec la bêtise de l'impuissance. Apporte-les à la maison, me répond Meda en souriant tristement. Les chaises partent à la benne.

Nul n'a demandé cette énième expulsion des treize familles Roms de la Boissière, qui vivent à la rue depuis le 28 juillet. Le théâtre nie avoir rien exigé de la mairie, les conseillers municipaux rencontrés devant le Méliès où ils se rendent pour visionner un documentaire sur les Chibanis, font mine d'être au courant de rien. Nul n'a demandé l'expulsion, mais elle a bien eu lieu, l'arrière du théâtre est maintenant cerné de hautes grilles. Nul n'a demandé l'expulsion mais nul ne fera de communiqué pour déclarer qu'il s'y oppose. Pas de déclaration politique, dit la responsable des relations publiques. C'est qu'elle est bien embarrassée, entre une mairie qui subventionne le théâtre et des clients qui n'accepteraient pas une action anti-Roms. Alors elle s'inquiète de l'image du théâtre, c'est son boulot. Les conseillers municipaux collent ça sur le dos de la Préfecture. Tous ces innocents ont les mains bien propres. Et les familles se demandent une nouvelle fois où elles dormiront cette nuit.

Il fait de plus en plus froid. Une manifestation s'improvise devant le Méliès où l'on croit savoir que le maire assiste aussi à la projection du film sur les Chibanis. Alertées, des personnes solidaires sont venues en assez grand nombre. On déploie les banderoles sous le nez des molosses qui alignent leurs carrures devant les portes du cinéma. Bessac une baraque ! Bessac une baraque ! Ça rime, alors Diana aime ces mots. Bessac une baraque ! Elle s'arrête de crier et se tourne vers moi : c'est quoi une baraque ? Je confirme qu'il s'agit bien d'une maison, alors l'enfant hurle encore plus fort : Bessac une baraque !On ne verra ni Bessac ni baraque.

 La nuit tombe avec l'humidité d'automne. Les mamans bercent leurs petits, les yeux dans le vague. Non, elles n'ont pas l'habitude. On ne peut pas s'habituer à voir ses enfants à la rue. Il fait froid. Quarante personnes à mettre à l'abri sur Montreuil ou sur les villes limitrophes, ça ne paraît impossible à personne. Mais l'absurdité est maîtresse de la vie des pauvres gens, pas l'humanité.

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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 Des grilles sont installées derrière le théâtre © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 Des grilles sont installées derrière le théâtre © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 tentative de réinstallation © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 tentative de réinstallation © Gilles Walusinski
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Montreuil, 03 octobre 2016 © Gilles Walusinski

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