Jeunes en 2017 (20): Rémi

Très jeune. Il ne souvient plus quand ça a commencé, peut-être depuis toujours. L'impossibilité absolue de rester immobile, reclus entre quatre murs, de parler uniquement sur commande, s'est imposée à lui alors qu'il n'était qu'un enfant. L'école ou comment s'en échapper. Rémi inventait mille ruses : pourquoi passer sa journée enfermé, alors que le monde autour l'appelait, tout bruissant de vie et d'action ? Absent, absent, absent, les professeurs s'interrogeaient, les parents s'angoissaient et Rémi couraient les rues mais surtout les parcs qui entourent la ville. Très jeune, lui est venu le goût du vert et de tout ce qui pousse. Un élève intelligent, toutes ces capacités gâchées ! se désolaient les éducateurs qui ne comprenaient pas que Rémi résonnait à l'inverse : tous ces talents niés, desséchés, ratatinés par le règlement absurde du collège, sa mécanique dérisoire. Comment apprendre la vie ailleurs que dans la vie ? Les livres, il les aime aussi, mais allongé dans l'herbe, le menton niché dans la paume, sous le cerisier sauvage qui offre ses fruits acides aux oiseaux.

Rémi est habile de ses mains : cette qualité, au moins, lui a toujours été reconnue. Il construit, il répare, il fabrique tout ce qui roule : vélos, planches à roulette, mobylettes, motos, trottinettes... Et quand ses pas le mènent au bord de l'océan, il polit des surfs colorés qu'il vend aux gens qui aiment glisser en liberté au creux des rouleaux qui déferlent.

Il a vécu chez sa grand-mère, chez des amis, chez ses parents parfois, sous la tente souvent, dans une cabane tout confort construite par lui-même dans un coin caché du parc, jusqu'à ce que le propriétaire du terrain ne la fasse démolir. Rémi a dix-neuf ans et déjà tout un passé de débrouille, des années pas toujours faciles qu'il a traversées sans jamais perdre le sourire. Il lui a fallu du temps pour être accepté comme il est. Que répondre à l'angoisse des parents sinon en leur montrant qu'ils s’inquiètent pour rien. « Vous voyez bien que je m'en sors ! » Rémi utilise cette expression comme tout le monde, mais n'en saisit pas bien le sens : je me sors de quoi ? De cette existence d'enfermé vivant qui m'était promise comme à tous les enfants destinés à devenir des adultes emprisonnés à perpétuité, mais pour quels crimes ? Rémi est innocent.

Des embrouilles, des disputes, des accrochages avec les flics, Rémi en a connu, il en connaîtra encore, c'est le lot de ceux qui ne se satisfont pas du monde tel que les puissants l'organisent. Mais il a des amis partout, des gens qui l'aiment et lui font confiance : il trouve facilement des petits boulots pour le nécessaire. Il n'a pas besoin de plus, la liberté ne coûte pas cher. Et il a le monde à découvrir. Depuis qu'il est majeur, Rémi passe les frontières et change de continent : il veut voir comment c'est là-bas, derrière l'horizon.

Dessin de Béatrice Boubé