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Billet de blog 6 février 2017

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Jeunes en 2017 (3) : Moussa

Chaque semaine, et pendant un an, une petite histoire de la vraie vie d'un jeune en 2017. Aujourd'hui : Moussa, les autres l'appellent Ali.

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Illustration 1
(détail) © Béatrice Boubé

Le samedi, sa fiancée lui rend visite sur son lieu de travail. À l'entrée du centre commercial, il se tient debout de longues heures devant une file de sacs qui s'ouvrent et dans lesquels il jette un œil suspicieux, puisqu'on le paie pour ça. Dans ces moments-là, sa fiancée ne l'appelle pas par son prénom. Elle dit : Toi. « Comment ça va, Toi ? », et elle lui serre doucement le bras sous le blouson à bandes réfléchissantes, sans trop s'attarder : « Bon, à ce soir, Toi ! »

Au boulot, les autres l'appellent Ali. « C'est difficile au début, dit Moussa, ce prénom auquel il faut répondre. » Ali est le « cousin » qui ressemble à Moussa comme un frère. Une ressemblance à s'y tromper. Même ville d'origine, ce grand port d'Afrique de l'ouest, environ vingt-cinq ans, et un visage pareil sur la photo d'identité. Mais Ali a obtenu de l'administration un titre de séjour « salarié » : il peut travailler légalement tandis que Moussa est un exilé sans papiers, sans droits.

Quelquefois, dans sa lente journée de « debout-payé », Moussa repense au tribunal, à cette petite salle étouffante en périphérie de Paris, à la juge juchée sur une estrade avec les représentants de la justice française qui le regardaient de haut. Ils ont prétexté d'un rien pour lui refuser l'asile : une coquille sur la copie de son jugement. Dans son pays, Moussa a été condamné à sept ans de prison pour participation à une manifestation contre le gouvernement, interdite et violemment réprimée. Il y a eu des échauffourées, des blessés, un ou deux morts. Il a fui avant son procès : «Tu seras condamné et si tu entres en prison, nul ne sait si tu en sortiras », lui a soufflé son père qui le pressait de partir. Il a tout quitté du jour au lendemain : famille, amis, études universitaires. Au bout d'un voyage compliqué et périlleux, il a débarqué dans ce pays, la France parce que c'est « le pays des Droits de l'Homme. » La juge a fait mine d'ignorer les conditions de détention des prisonniers politiques : officiellement, dans la très démocratique Guinée, tout va bien. L'avocate n'a rien pu faire. Moussa est sorti du tribunal, sans avoir le droit de rester ici et sans pouvoir retourner là-bas.

Une vraie chance cette ressemblance avec Ali. Moussa et sa fiancée peuvent envisager l'avenir plus sereinement. Agent de sécurité embauché sous l'identité d'un autre, Moussa a un salaire, un petit salaire qu'Ali lui reverse après avoir prélevé sa part : un dédommagement pour les risques encourus et puis il y a les impôts qu'Ali devra payer. Une part du salaire pour Ali, c'est bien naturel pense Moussa. Mais, de mois en mois, la part d'Ali grossit, il demande plus, encore un peu plus.

Dessin de Béatrice Boubé

Illustration 2
© Béatrice Boubé

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