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Billet de blog 7 août 2017

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Jeunes en 2017 (29): Louison

Chaque semaine, et pendant un an, une petite histoire de la vraie vie des jeunes en 2017. Aujourd'hui, Louison attend la vengeance.

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Illustration 1
(détail) © Béatrice Boubé

Si elle avait eu des traces, des marques rouges, des bleus sur le corps, sur le visage surtout comme les femmes sur les photos des campagnes de prévention, ça l'aurait aidée. C'est absurde, se dit-elle. Mais si, ça l'aurait aidée. Quelqu'un, forcément, lui aurait demandé : mais qu'est-ce que tu as sur le nez, sur la joue? Qu'est-ce que tu t'es fait à l’œil? Louison imagine la scène. Elle se serait assise au Quick, face à sa meilleure copine, avec son plateau rempli de nourriture, son grand verre de coca et son visage tuméfié. Sa meilleure copine aurait froncé les sourcils, l'aurait interrogée en insistant : dis-moi. Alors Louison aurait fondu en larmes et tout avoué. La violence, la honte de la subir depuis si longtemps, de la dissimuler sous le vernis d'une relation parfaite. Sa meilleure copine l'aurait convaincue d'aller porter plainte au commissariat. Mais non, elle sait qu'elle se ment. Les coups aussi elle les aurait cachés. Elle aurait reporté le rendez-vous jusqu'à ce que ça cicatrise et qu'elle puisse arborer un visage lisse, resplendissant de bonheur. D'ailleurs, elle ne voyait plus personne.

Il ne l'a pas frappée, ou si peu que ça ne compte pas. Ce qu'elle a subi, elle a appris à nommer ce que c'est : de la violence verbale, du harcèlement moral, du chantage affectif. Il y a un mois, elle se leurrait encore : c'est la passion, je vis une grande passion. Et elle se sentait l'héroïne d'une histoire intense, exceptionnelle, pas comme ces couples mignons qui se faisaient des bisous dans les couloirs du lycée avant le cours de maths. Il lui disait qu'il n'était rien sans elle, qu'il se jetterait sous le train si elle le quittait, si elle le trompait : il lui envoyait de longs sms en plein cours de philo. Tu t'es assise à côté de qui? Toute seule, t’inquiète, répondait-elle. Il voulait une photo pour la croire. Louison tentait de l'apaiser mais rien ne le rassurait. Peu à peu, elle avait modifié son mode de vie, réduit ses contacts avec ses copines et surtout ses copains, même avec sa famille : elle refusait les balades en montagne, les virées à la piscine. Elle ne sortait plus sans lui et quand ils étaient séparés, Louison guettait son téléphone portable pour réagir aussitôt à ses mille sms. Sinon, elle devait se justifier encore et encore. Avec qui t'étais? Tu préfères lui parler que me répondre? Tu t'en fous de moi, je ne suis rien pour toi ! T'es qu'une pute, dès que j'ai le dos tourné tu en profites. La dispute durait des heures, il accumulait les preuves de ses tromperies imaginaires : une jupe plus courte, une couleur de haut trop voyante, un nouveau parfum, un maquillage différent qu'elle avait longuement choisi pour lui plaire mais comment l'en persuader? Tu sais bien que je te préfères sans rien, lui lançait-il, rageur. Au bout de la nuit, épuisés, ils faisaient l'amour et au matin il lui demandait de s'excuser pour tout ce qu'elle lui faisait endurer, pour le mal qu'elle lui infligeait. Penaude, elle prononçait des mots d'excuse, préférant s'imaginer que c'était ça l'amour, le vrai, dont ses inquiétudes et ses insultes même étaient des preuves. Sur le chemin du lycée, à bout de forces, elle courbait la tête pour ne pas voir la vérité.

Des photos, il en a plein : d'elle, d'eux, dans les moments les plus intimes. Si tu me quittes, je me suicide mais avant je balance tout sur internet, l'a-t-il menacée aujourd'hui, quand elle lui a dit que cette fois, c'était fini. Non, elle ne veut pas venir habiter avec lui, elle veut le quitter, c'est ce qu'elle veut vraiment, en terminer avec ça, l'oublier. Seule, attablée au Quick devant des frites qui refroidissent, Louison ne lit pas les sms, ne va pas voir ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Elle a éteint son téléphone et ne sait pas ce qui l'attend.

Dessin de Béatrice Boubé

Illustration 2
© Béatrice Boubé

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