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Mai tout gris. Les grosses fleurs blanches des marronniers dégouttent une pluie fine et laissent voleter leurs pétales qui se collent au bitume. Dylan enfonce ses mains dans ses poches, courbe les épaules. Le voilà longeant le périphérique sous un ciel plombé qui menace de lui tomber sur la tête. Les tours des HLM le suivent de leurs multiples yeux, telles des géantes soupçonneuses. Une voiture rouge longe le trottoir, projette l'eau d'une flaque : il lui faudra passer l'entretien d'embauche avec le bas du pantalon mouillé. On lui a signalé ce job d'été comme un bon plan, mais il ne le sent pas.
Dylan ne voit pas comment il survivra à ce mois sous la terre. Il s'imagine errant dans les couloirs du RER en gilet jaune fluo ; temps arrêté, longues heures sans la lumière du jour. Il ne sait pas exactement quel sera son boulot : renseigner les gens, les orienter dans le dédale rendu encore plus inextricable par les travaux ? Cinquante mille voyageurs par heure, a-t-il lu sur un site. Et pas deux visages pareils. La nature est extraordinaire, songe Dylan qui se demande quelle tronche aura le type ou la fille devant qui il devra faire semblant d'être le gars de la situation, le jeune hyper motivé pour ce job à la con, qui nécessite, selon les recruteurs, des qualités relationnelles et un sourire permanent. Dylan pense au salaire, modeste : a-t-il vraiment le choix ?
Le bâtiment de verre reflète les nuages. Les portes s'ouvrent. Dans le hall, un homme dont le buste en chemise bleu ciel et veste marine dépasse du comptoir, lui dit d'attendre là-bas puis s'efface. Dylan s’assoit sur l'une des chaises alignées de long du mur. Il attend. Dylan perçoit l'inévitable ronron, ce bruit de fond de tous les bâtiments faits de fenêtres empilées que l'on ne peut pas ouvrir, et qu'un moteur aère et qu'un autre climatise. Il est seul, dans une salle prévue pour accueillir les supporters de tout un stade de foot. En se penchant un peu, Dylan peut regarder dehors, à travers la porte vitrée, les rares piétons dont les semelles martèlent le trottoir sans bruit.
Il sursaute. Des pas résonnent dans l'escalier que dissimule une porte, qui s'ouvre. La chemise bleu ciel apparaît, accompagnée d'une autre mais blanche. Les deux hommes s'approchent et demandent à Dylan de les suivre. Ils ouvrent le chemin vers ce qu'il suppose être le bureau pour l'entretien. Ils descendent l'escalier, poussent une autre porte sans faire plus attention à Dylan : ils sont pris dans une conversation animée sur une certaine Mylène ou Mireille qui leur pose problème. Dylan observe leurs dos, marine pour l'un, gris perle pour l'autre, et leurs nuques aux cheveux coupés ras. Devant lui, ils marchent dans un couloir éclairé par des lampes blanches et leurs voix rebondissent sur les murs de béton peint. Du même pas, ils avancent comme s'ils avaient totalement oublié Dylan, comme s'il n'avait jamais été là. Dylan ralentit et l'écart se creuse entre lui et les hommes. Il s'arrête mais les hommes continuent à marcher dans ce couloir sans fin et leurs silhouettes rapetissent sous la lumière crue. Alors Dylan se retourne et se met à courir.
Dans l'avenue où il reprend son souffle, le soleil éclaire maintenant le crépi miteux des HLM, fait scintiller les vitres des immeubles de bureaux. En s'engouffrant dans le métro, Dylan se demande si les deux hommes auront remarqué sa disparition.
Dessin de Béatrice Boubé

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