Il y eut une époque où leur guignolesque affairisme, leur tartuferie grossière, leur ego de punaise qui veut se faire plus grosse que le bœuf, leur mesquinerie d'ambitieux, leur racisme et leur sexisme viscéraux, leur petitesse d'esprit, leur clanisme mafieux et leur violence plus ou moins bien cachée derrière les sourires ultra-brite pouvaient encore faire rire. Alors on écrivait des satires, on faisait de l'ironie sur la farce du pouvoir, on se vengeait des pantins qui se voulaient puissants en exhibant leur ridicule.
Et puis l'air s'est raréfié, corrompu. Ça s'est mis à sentir si fort le gaz que l'on n'eut plus assez d'oxygène pour un éclat de rire. « État d'urgence » fut le nom donné par le pouvoir lui-même à cette saloperie qu'il avait installée dans le pays depuis des années et que l'on renâclait à nommer tant elle est effrayante. Il y avait déjà longtemps que les mères de familles, voyant leur fils adolescent sortir, lui recommandaient de bien faire attention en traversant les rues et, surtout, de se méfier des flics. L'état d'urgence indéfiniment prolongé a décuplé la violence policière. On n'est jamais sûr, quand nos fils sortent, qu'on ne les retrouvera pas à l'hôpital, violés par accident et par une matraque des forces de l'ordre, par un malade de flic que toute une hiérarchie jusqu'au ministre de l'intérieur s'attachera à disculper. Si ce n'est à l'hosto, c'est en taule qu'ils mettront nos fils, six mois pour s'être trouvé dans la rue le soir, parce qu'il y avait des pierres posées dans un coin, parce qu'il y avait une coupure d'électricité, pour une prétendue intention d'avoir eu l'idée d'envisager peut-être de s'en prendre aux flics tabasseurs et violeurs avec, pour toutes preuves de "l'embuscade", une couleur de peau et un sweat à capuche.
Cognes et pandores sont les bras armés du pouvoir que tous ces sinistres fantoches se battent jusqu'au sang pour arracher des mains des électeurs encore suffisamment candides pour continuer à croire que le cloaque est réformable. Que veulent-ils en faire de ce foutu pouvoir ? Continuer à se partager le confort douillet de la République, distribuer les médailles en chocolat, occuper les postes avec prébendes sonnantes et trébuchantes. Développer les guerres extérieures, vendre encore plus d'armes encore plus meurtrières, poursuivre la guerre intérieure contre les banlieues, contre les pauvres, contre les immigrés, contre ceux et celles qui pensent et agissent, contre tous les opprimés qui pourraient un jour réaliser ensemble combien on se moque d'eux, à quel point on les pille, on les écrase, et vouloir renverser l'oppression. Quand l'air est irrespirable, la pression monte : les politicards à la solde de la finance, des multinationales et des marchands de canons seront les seuls étonnés de voir bientôt leur trognes trimbalées au bout de piques.