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Billet de blog 10 octobre 2016

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Familles Roms expulsées à Montreuil: comment ça va la santé?

Avec la vie dehors et le froid qui s'installe, les problèmes de santé se multiplient parmi les familles Roms expulsées de la Boissière. Pas facile d'accéder aux soins quand on n'a rien, quand on n'est rien aux yeux des pouvoirs publics et des élus qui jouent le jeu odieux du pourrissement. Une cagnotte est lancée pour aider les Roms et leurs dix-neuf enfants à faire face.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Montreuil, octobre 2016 © Gilles Walusinski

« C'est froid, c'est froid », Angela resserre le col de sa veste de fausse laine et frissonne en fin d'après-midi. C'est froid, la vie à la rue quand l'humidité tombe le soir. C'est froid, les réveils sous la tente. Ils ont beau enfiler des vêtements les uns sur les autres, le pantalon sous la jupe longue des femmes, trois joggings pour les petits et autant de pulls, il fait toujours froid quand on vit dehors depuis onze semaines. Les treize familles Roms expulsées de leurs habitations de la Boissière sont épuisées, et leur santé se dégrade.

Un médicament pour la gorge, un autre pour le petit qui a des aphtes, du doliprane pour toutes les fièvres, et le mal de dos et les jambes gonflées, et la douleur qui traverse le ventre. Lumivitsa n'en peut plus de ses rages de dents successives, bien d'autres bouches mériteraient la visite urgente d'un dentiste. Et surtout de la poudre de perlimpinpin, celle à base de plantes et qui soulage les problèmes de digestion, calme les boutons sur la peau fragile des bébés et leurs gencives enflammées par la pousse des quenottes. La recette miracle, le baume universel. Les demandes d'automédication se multiplient autour des tentes, revenues se nicher place de la mairie après l'expulsion des familles de la friche Eiffel où elles ont cru, mais pas longtemps, que la police les laisserait trouver un répit. Les personnes solidaires font face aux plaintes des souffrants mais aucune n'est médecin. On s'adresse aux pharmaciens et pharmaciennes du quartier : ces professionnels ont aidé autant qu'ils pouvaient mais aujourd'hui, après tant de demandes, ils refusent. Le sirop contre la toux ne sera pas donné à Alberto, il est trop petit, il pourrait s'étouffer explique « la dame ». Meda la regarde, incrédule, elle prend ce refus pour une énième brimade. L'automédication met les gens fragiles et surtout les enfants en danger : les malades doivent consulter.

La visite d'un pédiatre bénévole, une seule fois en août. Une journée complète (huit heures) passée aux urgences dentaires pour commencer les soins de Lumivitsa. Et puis rien. Il y a la peur de quitter le camp pendant trop longtemps, si l'on va à l'hôpital : que se passera-t-il pendant l'absence du malade ? ou retrouvera-t-il sa famille et ses affaires en cas de nouvelle expulsion ? Nadia ne veut pas en entendre parler : elle a de plus en plus de mal à se séparer de sa fille de neuf ans, ne serait-ce que quelques heures. Alors elle endure des douleurs abdominales inquiétantes. Il y a aussi cette peur latente de recourir aux institutions compliquées et possiblement hostiles : comment sera-t-on reçu ? que va-t-on me demander ? Et puis les frais, qui les paiera ? Pas d'AME, dossiers en cours ou pas encore en route, il faut des papiers, encore des papiers mais les papiers s'envolent avec les expulsions successives. Pas facile d'admettre cette absurdité : en France tu n'existes pas si tu n'as pas un gros dossier empli de papiers qui prouvent ton existence.

Il faudrait qu'une équipe médicale vienne sur place et reçoive tout le monde : nous rêvons à haute voix. Certains appellent les ONG, mais elles sont conçues pour secourir les malades des pays lointains et ce n'est pas évident de les mobiliser sur Montreuil. Nous faisons par Facebook un appel au public : médecins et pédiatres bénévoles qui voudraient bien passer ausculter ceux et celles qui le souhaitent. Il y a urgence, car dans notre beau pays développé, des enfants pauvres, des enfants Roms, sont abandonnés à la rue, tombent malades et ne reçoivent pas de soin.

Quand, le 30 juillet, j'ai écrit un premier billet de blog sur la situation des familles Roms expulsées de la Boissière, je n'imaginais pas que, 73 jours plus tard, le sujet de mes articles n'aurait pas changé. C'était connaître bien mal la condition des Roms de France, et la force d'inertie et de destruction des pouvoirs publics et des élus quand ils ont décidé de se débarrasser de ces personnes dont, racisme d'état ou opportunisme électoral, ils ne veulent pas. Une cagnotte vient d'être lancée pour soutenir les familles Roms en lutte pour leur survie sur la place de la mairie de Montreuil. Chacun peut y contribuer selon ses moyens en suivant ce lien. Merci à tous.

Illustration 2
Laura, Montreuil octobre 2016 © Gilles Walusinski

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