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Une neige précoce est tombée lundi avec un froid glacial et depuis qu'il fait un peu moins froid il pleut. Trois mois et demi de vie à la rue pour les familles roms expulsées de leurs habitations de la Boissière, aujourd'hui sera leur cent-septième jour dehors.
Une vingtaine d'enfants vivent dans le campement établi autour du théâtre, sur la place Jean-Jaurès. Comme Alberto, plusieurs petits ont fait leurs premiers pas entre les tentes et les caddies ou les poussettes qui servent à ranger et transporter les affaires. Lundi les autres enfants jouaient avec les flocons et riaient de voir cette neige qu'ils ont attendue tout l'été. Alberto, calfeutré dans la petite tente et dans les bras de son grand-père souriait aussi, car il sourit toujours Alberto. Mais il tousse encore et il est couvert d'eczéma. L'eczéma d'Alberto c'est la vie à la rue qui lui sort par la peau.
Il pleut. L'eau ruisselle sur le pavé et s'insinue partout jusque sous les tentes. Les enfants tombent malades les uns après les autres, les grands n'ont plus même la force d'aller à l'école. Tout perd son sens quand on n'a pas de maison. Pas de sanitaires non plus, la mairie refuse d'installer une cabine de toilettes. Pourquoi? Quant à la bonne douche chaude qui réchauffe quand on a froid, il faut recourir aux personnes solidaires. Demander, demander tout le temps, pour la moindre chose. Heureusement que le cinéma Méliès ouvre généreusement ses portes la journée, on n'ose imaginer quelle serait la situation sans le cinéma Méliès.
Une réunion du conseil de quartier s'est déroulée mardi soir, le 8 novembre, en présence de représentants de la mairie, d'associations et de représentants des familles Roms. Thème : « les SDF et la mendicité en centre ville. » Nous nous attendions au pire. Le racisme contre les Roms n'est pas tabou. Légitimé par le premier ministre, institué par l’État, il s'insinue dans les conscience et s'exprime de plus ou en plus ouvertement : les roms sont sales, les Roms quémandent et mendient. Mais le pire n'est jamais sûr. Les habitants du quartier ont soutenu haut et fort la demande de réquisition d'un gymnase. Il ne comprennent pas comment ils ont pu élire un maire de gauche et en arriver là. Ils auraient voulu une municipalité militante, ils ont la mise en place du Grand Paris, les opérations immobilières, la gestion mesquine de l'espace public, la chasse aux pauvres. Le fric d'abord et l'humain bien après. Quelle honte ! clament les électeurs déçus.
Je transcris les paroles de Bobby puis de Daniel, montreuillois à la rue et Roms, que l'on peut entendre sur l'enregistrement de la réunion effectué par une militante solidaire (ICI) : « Bonjour à tous, (avant l'expulsion) nous n'étions pas du tout des mendiants, nous ne faisions pas la mendicité à Montreuil, nous avions un travail de récupération, de ferrailleur, c'était un travail de recyclage. On se retrouve dans cette situation alors qu'on n'aime pas du tout faire la mendicité. On est obligés de faire la mendicité pour pouvoir nourrir nos enfants. Le jour où il a neigé, on a vu des enfants en train de passer avec leur parents et qui étaient contents de la neige. Il n'y avait que nous et nos enfants qui n'étions pas contents parce qu'il faisait très très froid et nous étions cachés dans nos tentes. Ce n'est pas normal que ça nous arrive. Plus de trois mois dans la rue, ça nous suffit. On ne peut plus supporter d'être dans la rue. Il n'y a aucune solution pour nous ? C'est incroyable, il n'y a aucune solution ? On est sales, on n'est pas lavés. On sent mauvais devant les gens qui passent et on ne se sent pas bien devant leur regard, ce mauvais regard sur nous. Et cette situation, c'est pas nous qui l'avons créée. »
« A cause de cette situation, ma fille ne va plus à l'école depuis plusieurs semaines . Elle a une otite, elle a mal aux dents. Elle doit rester au chaud. Ma fille me dit qu'elle a froid, qu'elle se sent pas bien et qu'elle ne peut pas aller à l'école. Le cinéma Méliès, quand ils ont vu la neige, ils nous ont fait rentrer. Merci beaucoup au cinéma Méliès. Depuis trois mois on est dans la rue, on n'est pas violents, on est calmes, On veut trouver des solutions calmement avec vous. Pourquoi on a été jeté du terrain où nous avait installé la précédente municipalité? On avait payé l'eau et l'électricité. Comment c'est possible qu'il n'y ait pas de solution? Il y a des terrains, il y a des gymnases, il y a des solutions pour se mettre à l'abri. On est prêts à payer les charges. On ne veut plus que nos enfants vivent dans cette situation, on veut un changement pour l'avenir de nos enfants. »
Après plus de trois mois d'illégalité, d'atermoiements et de fausses solutions, la mairie de Montreuil associée aux préfectures ont fabriqué ce que l’État raciste leur demande : un groupe de Roms sales, humiliés, qui mendient avec leurs enfants et traînent leur être désespéré devant tout le monde. Mais les habitants ne sont pas dupes de la manœuvre, ils l'ont dit mardi, avec une grande clarté aux élus qui n'ont rien trouvé à repondre. Jusqu'à quand la mairie et les pouvoirs politiques pourront-ils se payer le luxe de la surdité ?
Convention internationale relative aux droits de l'enfant (signée par la France le 26 janvier 1990) : "L’enfant a droit à une alimentation, à un logement, à des loisirs et à des soins médicaux adéquats."