
Myriam El Khomri est une femme. Myriam El Khomri est née à Tanger d'un père marocain. Myriam El Khomri est ministre. Le genre, les origines, le pouvoir : autant de mises en demeure de se justifier dans une société encore dirigée par des hommes bien blancs.
Il faut qu'elle s'explique, la ministre, qu'elle raconte comme elle en est « arrivée là ». Arrivée où ? Au gouvernement, ce pompon des arrivistes que l'on ne décroche qu'après moult tour de manège politique mais qu'elle a reçu, elle, comme un bienfait de la providence présidentielle, alors qu'elle ne s'y « attendai(t) pas ». Passer de l'obscur anonymat à la lumière des lambris dorés et du buzz, fût-il négatif, c'est aussi se construire un récit de vie, modeler son image.
L'occasion de rassurer le bourgeois en exhibant un cv de femme exemplaire lui est offerte par le journal Le Monde. Et sous les yeux consternés de la lectrice défilent tous les poncifs de la jeune fille sage et courageuse, soigneusement lissés par les chargés de la com' du ministère. Un plan média qui trace un portrait en trois points : Travail, Famille, Carriérisme.

On ne naît pas ministre, on le devient. Par un travail acharné, bien sûr. Le travail, cette « valeur inculquée très tôt » par des parents qui avaient « beaucoup d'autorité » sur les résultats scolaires, et par des études dans le privé à « l’école Berchet de la mission française (Tanger), où c’était très strict, comparé au système éducatif français.» Le travail scolaire, c'est la clé pour « s'élever dans l’ascenseur social. » Quand on veut, on peut : yaka bosser ! Oh Myriam, si tu savais le nombre de filles de nos quartiers qui croient encore que « travailler à l'école ouvre le champ des possibles », et qui, encouragées par leurs parents (ou pas), obtiennent leurs diplômes, même dans un système éducatif français tellement laxiste selon toi, et se retrouvent à Pôle emploi ou dans des petits boulots sans rapport avec leur niveau de qualification ou mal payées parce qu'elles sont femmes, parce que leur nom n'est pas franco-gaullois.
La famille ? Marocaine mais pas trop. La branche bretonne compense l'exotique. Le grand-père marocain « très musulman » donne des gages de francité en lisant le Canard enchaîné et en suivant la politique française. Le grand-père breton « très catholique » est éleveur de porcs. Venue vivre en France à neuf ans, Myriam fait l'expérience du racisme ordinaire des beaufs. « Lors de travaux saisonniers, on me disait que j’étais « une bonne Arabe » parce que j’étais sérieuse. J’ai eu ce type de réflexion. Je baissais la tête et continuais à travailler. » A la cantine du collège de Bordeaux, bien sûr qu'elle mange de tout, Myriam, qui est aussi une « bonne élève » : « on nous a pris à part à la cantine, avec mon grand frère, pour nous demander si l’on souhaitait un régime spécial. Pour nous, c’était un peu honteux que l’on nous pose cette question. » Oh Myriam si tu savais comme ta honte me gêne. Baisser la tête face au racisme de tes concitoyens, avoir honte de porter un nom arabe, ce n'est pas ce que je souhaite aux jeunes filles qui comme toi ont une identité plurielle. Mais c'est bien cela pourtant que les braves gens leur demandent : baisser la tête, et non voilée svp.

Les bourgeois qui se croient de gauche aiment les références culturelles. Aussi la jeune Myriam a-t-elle lu Zola, cet écrivain qui l'a « aidé à grandir» mais nous ne saurons par pourquoi. Elle a aimé le théâtre aussi, elle est un peu artiste Myriam, elle a rêvé de devenir écrivain. Mais il y avait les parents, et leur « autorité », alors elle a abandonné l'idée d'entrer au conservatoire : « Le sérieux à repris le dessus. J'ai arrêté le théâtre pour me consacrer à mes études de droit. » Le théâtre, ce n'est pas très sérieux : ces saltimbanques qui réclament le maintien du régime des intermittents en sont la preuve. Ils font un boulot pas sérieux et ils voudraient en plus gagner leur vie ? Oh, Myriam ! Qui emporte la victoire du dressage au renoncement, à la résignation, pour favoriser la carrière ? Qui gagne quoi que ce soit à l'affadissement ou à la négation d'une part de ce que l'on est au profit de la réussite sociale ?

Myriam n'a reçu de ses parents aucune éducation religieuse, ni aucune éducation politique. Étudiante, elle a participé à des manifs, mais elle ne se « rappelle plus lesquelles ». Elle ne s'est jamais syndiquée. Ses convictions sont modestes. Étudiante boursière, elle a fait des petits boulots comme toutes les autres, sauf que Myriam, on lui proposait très vite de devenir cheffe. Elle doit son destin politique à l'intervention d'hommes : elle leur a écrit et ils l'ont acceptée. Elle a travaillé pour eux, Bartolone, Delanoë et tutti quanti, sur des thèmes à sa portée : puisqu'elle est femme, elle se bat « comme une dingue » pour « les enfants placés ». Ils lui ont demandé (ça, elle ne le dit pas, Myriam, mais on connaît trop bien leurs procédés) de s'encarter au PS. Et vogue la carrière, jusqu'à ce dîner magique où elle rencontre le Président. Elle lui parle des « mineurs étrangers isolés » et « des vendeurs de Marlboro à Barbès », il l'écoute. Et voilà comment en République on est nommée « par surprise » Secrétaire d’Etat, puis Ministre, à la suite d'un dîner en ville : « Vous voyez, les dîners en ville ça peut servir », lui aurait lancé Moi-Président.
Oh, Myriam ! Si tu savais combien ta success story soigneusement modelée par tes coachs en image de marque synthétise tout ce dont ne veulent plus les jeunes qui manifestent contre ton projet de loi et qui se réunissent sur les places publiques pour s'affirmer debout : la soumission, la négation de soi, le larbinisme, le carriérisme, et cette façon pour une femme de « réussir dans la vie » par l'acceptation résignée du code des mâles dominants. Il faudra bien plus que de la pédagogie et des miettes d'allocations pour combler les abîmes qui vous séparent : une Révolution!