
Comme Gargantua à la naissance de Pantagruel, ne sachant s'il dût rire d'avoir un fils ou pleurer d'avoir perdu sa femme, chacun aujourd'hui hésite entre l'hilarité que suscite le vaudeville socialiste et l'effroi devant la mise en place d'un régime autoritaire. Car tandis que le spectacle politique tourne à la farce grotesque, le parlement est bâillonné, l'état d'urgence perdure et la police joue de la schlague sous toutes ses formes contre les populations qui osent contester un pouvoir utilisant la force pour masquer sa faiblesse. Mais alors que le grand géant de Rabelais célébrait en sa démesure burlesque la joie de vivre et le bonheur d'une pensée libre, les quidams qui n'en peuvent plus d'être l'objet du mépris de ceux qu'ils ont portés au pouvoir ne semblent plus dominés que par un unique sentiment : la colère.
Tombent les masques rapiécés, replâtrés, rongés jusqu'à l'os, d'une république faussement égalitaire mais vraiment oligarchique et d'une démocratie réduite à son seul nom. Les petits marquis, laquais des consortiums et des lobbys, ont beau afficher un sourire aux mille dents longues, c'est pour mieux te croquer, mon votant. Le cynisme brutal, le mensonge érigé en vérité à laquelle nul ne croit, sont les instruments ordinaires d'un Macron, d'une El Khomri poussés seulement par l'ambition politique et le carriérisme le plus grossier. On l'avait vu souriant, lui aussi, mais d'un souris dédaigneux d'hidalgo sûr de son charme et de sa puissance : la banane Vallsienne a tourné au rictus, et c'est la mâchoire serrée qu'il ordonne au sinistre de l'intérieur d'envoyer les cognes prendre à la nasse des manifestants pacifiques pour mieux les tabasser. Quant au président, dont on ne comprend pas s'il tient le rôle du grand ordonnateur de l'autocratie qui vient ou celui du cocu de l'opérette, il erre, répétant que tout va mieux, parmi les décombres de la vieille monarchie républicaine cousue main par un dictateur finalement déchu.
La colère est là, elle prend aux tripes les plus placides, elle secoue l'indifférence des plus désabusés, elle surgit au milieu des réunions de famille, dans le bus comme au bistrot, elle s'insinue jusque sur les lieux de travail où règnent pourtant la terreur managériale et la froide compétition de tous contre tous. On ne sait ce qu'il adviendra de ce ressentiment quand le néo-fascisme gagne déjà l'Europe par l'Est. À l'opposé, faute de pouvoir toujours y contribuer, on suit avec espoir ce qui naît des Nuits debout. Vive l'intelligence, à bas la mort ! Que de cette colère s'élève le désir renouvelé de vivre.