
Il importe d’être constante si l’on veut se faire une idée précise de la situation des familles Rroms étrangères, ces européens pauvres qui ne se distingueraient pas des autres immigrés en France s’ils ne faisaient partie de la communauté sans doute la plus discriminée, la plus victime de rumeurs malveillantes, de préjugés négatifs, en un mot du racisme. Un racisme ouvert, décomplexé, qui s’exprime directement sur les réseaux sociaux comme dans la rue sans que cela n’indigne grand monde, mais qui s’exprime surtout par une indifférence complète à leur misère.
Il importe d’être constante si l’on veut, non pas comprendre ce qui échappe à la raison, mais au moins se faire le témoin d’un enchaînement d’indécisions et de tâtonnements qui, de piétinements en atermoiements, conduit une vingtaine d’enfants dont des bébés à vivre les premières nuits rudes de l’hiver dans des cabanes de bidonville. Parce qu’ils s’agit ici de familles présentes depuis plus de quinze ans à Montreuil, dont les enfants nés ici n’ont jamais connu de logement digne de ce nom.
En six ans et demi, pas moyen de mettre en place une solution de logement pérenne ? Ah, non. En guise d’habitation les familles expulsées fin juillet 2016 ont connu d’abord les tentes sur les trottoirs de la ville, quelques nuit d’hôtel, puis les voitures et les camionnettes en bord de cimetière pendant un an et demi avant d’être orientées vers un bâtiment vide à occuper mais trop exigu pour ce groupe de personnes qui les années passant s’agrandit, un incendie les en expulse, il y a des blessés graves, une poignées de jours abritées dans un gymnase et retour à la rue, à l’errance, de squat en squat pour aujourd’hui se retrouver sur ce terrain ouvert par la mairie où les familles se sont construit des cabanes en matériaux de récupération.
Depuis un an une procédure spécifique en vue du relogement des familles est officiellement engagée. Diverses associations, pas toujours les mêmes, font ce quelles peuvent pour la scolarisation, l’accès au travail, le suivi social. Alors, pourquoi ce bidonville ? Pourquoi tout ce temps perdu ? Il y a eu au cours de ces six années et demi, des moments de moindre précarité, des contrats d’insertion par le travail, des droits ouverts à la couverture santé, aux allocations familiales, des moments où c’était bon, les dossiers étaient complets, les demandes de logement recevables. Pourquoi avoir tant attendu, attendre encore puisque dix mois après l’incendie du bâtiment occupé rien de ce qui est envisagé pour la poursuite de la procédure de relogement, les caravanes de transition, les équipements, n’est encore installé sur le terrain sans même qu’une date n’ait été donnée pour le début du commencement des travaux? Mais l’hiver lui n’attend pas.
Comme s’il n’y avait jamais d’urgence pour les Rroms. Comme si le temps allait diluer le problème, mais la réalité c’est qu’au lieu de cinquante personnes à reloger en 2016, elles sont maintenant presque deux fois plus nombreuses parce que la vie des familles ne s’arrête pas pendant que les accords avec la préfecture, les appels d’offre et les paperasses diverses s’enlisent dans les sables d’une administration dont la lenteur n’est pas le seul défaut. Sur quels espoirs se fonder quand la volonté des autorités demeure mollassonne dans un contexte politique global de plus en plus fermé, replié sur l'entre-soi national et le rejet des étrangers?
Combien de générations ces familles roms montreuilloises connaîtront encore une telle précarité des conditions d’existence ? Combien de temps faudra-t-il attendre pour que les enfants roms de Montreuil vivent enfin une vie d’enfant ?