Sang neuf

A la maison de retraite, c'est l'émoi. Les gazetiers défilent à l'heure du scrabble, les flashs crépitent à la démonstration de danses traditionnelles et la boum des années 40 fait un tabac. On n'a jamais eu tant de visiteurs, et que du beau linge : des hommes à la chevelure gominée, cravate club, des dames blondes en tailleur bleu marine qui passent après la messe. Les pensionnaires autrefois assoupis dans le ronron du poste de télévision, sont réveillés en sursaut par les militants enthousiastes et les colleurs d'affiches. Il y a de jolis drapeaux bleu-blanc-rouge qui décorent la salle commune et de grands portraits de Marie-Madeleine partout. Quelle surprise! Marie-Madeleine cartonne dans les sondages! Elle qui, il y a trois jours, ignorait encore qu'elle était tête de liste pour l'élection du maire du village. C'est qu'elle perd un peu la mémoire Marie-Madeleine. Elle se souvient d'avoir signé mais plus bien quoi. D'ailleurs, elle attend toujours le four à micro-ondes Fabriqué Nationalement, qu'elle a commandé au monsieur très bien qui lui a promis un déambulateur gratuit. Les journalistes veulent une interview exclusive de la future édile et Marie-Madeleine entonne un air du bon vieux temps : Maréchal, nous voilà.. Alors, le monsieur du four à micro-ondes Fabriqué Nationalement se met à tousser très fort et on n'entend pas la suite de la chanson. Marie-Madeleine pose sur les photos, dans son fauteuil poussé par le second sur la liste. C'est le doyen de la maison de retraite, qui porte beau ses quatre-vingt quinze printemps. Il ne peut plus lire à cause de ses yeux fatigués, mais ce n'est pas grave : le troisième sur la liste est l'ancien instituteur du village. L'équipe municipale Fabriquée Nationalement pourra compter sur sa vaste érudition, quand il sortira du coma.