Très long, très maigre, de plus en plus sec. « Mon corps s'assèche, se dit Arthur en contemplant sa main qui s'allonge sur le papier quadrillé d'un cahier. Il se vide. » Perdu dans le désert, ce labyrinthe infernal, il devient un désert et ne comprend plus rien. Ces formules mathématiques qui l'année dernière l'emplissaient de l'anxieuse exaltation que procure le combat contre l'énigme, ne l'intéressent plus. Il les lit, les relit, et les signes se dégradent en langage diabolique qui l'égare. Alors, il écoute attentivement les oiseaux pépier sur le grand marronnier de la cour : eux seuls savent lui parler.
La prépa scientifique, il s'est battu depuis les années de collège pour la décrocher. La grande école d'ingénieur, c'était son destin tout tracé d'excellent élève, la voie promise par ses parents ingénieurs et si fiers de son don pour les maths. Les heures sont lentes dans la salle de classe dont le parquet craque. Ces cerveaux autour, ces têtes qui pensent à leur réussite aux concours : c'est comme s'il voyait des milliards de neurones pulser frénétiquement dans ces boîtes d'os couvertes d'un peu de peau. Arthur n'ose pas dire à sa mère qu'il souffre de migraines qui l'empêchent de dormir. Elle est tellement stressée, elle s'inquiéterait davantage, voudrait l'emmener chez tous les médecins, ne lui ficherait plus la paix.
Ces garçons et ces filles ne lui adressent pas la parole. Peu à peu les copains du lycée se sont éloignés, pris jours et nuits par les cours, les devoirs, les colles et les révisions. Arthur n'est plus un pote pour eux, c'est un adversaire facile à battre pour une meilleure place aux concours : ils me méprisent, se dit Arthur qui reçoit les mauvaises notes comme autant de pierres aiguës que les profs lui jettent. Il se souvient du titre d'un livre terrible sur Auschwitz : i salvati e i sommersi. Ici aussi, il y aura les sauvés et les engloutis. Pour lui, la prépa c'est le grand plongeon dans le noir. Le soir, Arthur rentre à la maison très vite et se colle devant la télé sans même savoir ce qu'il regarde en se roulant une cigarette de cannabis qui le détend un peu.
Il a toujours été rêveur, mais le songe qu'il parvenait à contenir dans son crâne a débordé soudain, a envahi l'espace. Arthur habite maintenant le songe d'Arthur : un cauchemar. Tandis que le prof déroule des logiques qui ne le concernent plus, il trace les contours de sa main sur la page vide du cahier, dessine minutieusement les os à l'intérieur, le squelette sur lequel vient se percher un petit oiseau.
Mais soudain le sol s'effondre sous sa chaise : Arthur ne peut pas décevoir son père, il ne peut pas lui avouer qu'il a tout raté, qu'il est un raté et ne se présentera pas aux concours. Il faut continuer à mentir.
Dessin de Béatrice Boubé
Agrandissement : Illustration 2