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D'aucuns, parmi le gratin missionné de la laïcardise officielle, suggèrent à nos compatriotes musulmanes d'opter pour la discrétion. Un peu de retenue, mesdames, dont la foi en burkini fait couler, malgré les fortes chaleurs du mois d'août, des sueurs froides sur la couenne rose des baigneurs en petite tenue correcte exigée. On est jamais trop réservée quand on est une femme, surtout quand on a des parents ou des grands-parents ramenés des pays colonisés pour bosser à la chaîne dans nos usines, se casser le dos sur nos chantiers ou vider nos poubelles trop sales pour nos mains délicates. C'est déjà bien beau que vous puissiez vous baigner dans la même eau que les bikinis de souche, alors ne venez pas fanfaronner dans vos costumes de bain ostentatoires qui choquent l'innocence de nos têtes blondes et la sensibilité républicaine exacerbée des braves gens d'ici. On a tout de même le droit d'attraper des morpions sur nos plages sans être agressés par un excès de textile islamique : on est chez nous !
Il est vrai que la discrétion est une vertu qui se perd. Les ficelles de la communication politicienne sont de plus en plus tapageuses et on aimerait une plus grande décence dans l'étalage de la xénophobie légitimée, un surcroît de pudeur dans la chasse ouverte aux musulmans qui-ne-sont-pas-assez-discrets. Si quelques burkinis dans les criques ne troublent ni la mer ni l'ordre public, il n'en est pas de même des arrêtés municipaux interdisant le port de ces tenues prétendument provocatrices, qui s'opposent à la liberté de s'habiller comme on veut.
Un esprit ordinaire comprend rapidement que les cris d'orfraies de la pruderie laïque et les beuglements des saints républicains en croisade contre les sanguinaires sarrasins se prélassant sur le sable, s'ils ouvrent aux médiocres édiles en quête de publicité un boulevard médiatique, ne font qu'attiser les tensions dans une population de France riche de sa belle diversité. Un peu plus d'attention à l'autre, de respect de son histoire et de son identité, un peu plus de vraie volonté de garantir l'égalité des droits, l'accès à la culture et à l'éducation, la liberté pour chacun d'affirmer qui il est dans la tolérance réciproque, une meilleure redistribution des richesses, la lutte contre l'individualisme et la compétition truquée du capitalisme mondialisé, sont des pistes de réflexion et d'action archaïques que seuls quelques bisounours décérébrés qui n'ont pas compris que l'on est en pleine guerre de civilisation osent encore suggérer du bout des lèvres. Mais les esprits supérieurs qui nous gouvernent voient plus loin, aussi loin que le sommet de leur carrière et leur triomphale réélection : il faut flatter les bas instincts de l'électorat xénophobe revigorés par les actes odieux des assassins de masse. Et tant pis s'ils encouragent indirectement les rixes, la formation de milices nationalistes, et les crimes racistes de coin de rue. D'ailleurs, ils n'ont pas besoin de se forcer : il leur suffit de laisser leur naturel bridé par la dictature droit-de-l'hommiste revenir au galop une fois les naïfs préjugés antiracistes enfin tombés sous les coups des meurtriers endoctrinés.
Heureusement, le charme bourgeois de la discrétion n'est pas mort ! Car c'est en toute discrétion que l’État traque chaque jour les migrants exténués, que l'automobiliste écrase le réfugié sur les routes, que la police détruit les campements des familles Roms abandonnées à la rue, que les sdf meurent sur les trottoirs et les personnes de couleur dans les commissariats, que la misère gagne du terrain, que les plus forts oppriment un peu plus ceux qui sont de longue date opprimés et qui ont la décence de souffrir dans le plus convenable des silences médiatiques.