Lettre ouverte à Monsieur Patrice Bessac, maire de Montreuil
Montreuil, le 17 juin 2017
Monsieur le maire,
Depuis que vous avez demandé leur expulsion de leurs habitations du 250 boulevard de la Boissière, les treize familles qui y habitaient n'ont plus de logement, elles vivent à la rue dans des conditions d'extrême précarité. Le 28 juillet 2016, la police missionnée par la préfecture a mis plus de quarante personnes, dont vingt-cinq mineurs, sur le trottoir et sans solution de relogement, ne leur laissant emporter à la va-vite que quelques affaires tandis que des machines détruisaient leurs maisons.
Il y a aujourd'hui onze mois que vous travaillez avec acharnement à éloigner ces familles de la commune de Montreuil, à les faire partir sans d'autre raison apparente que leur pauvreté et leur origine : ce sont des familles roms démunies, des indésirables selon vous. Force est de constater que vos tentatives répétées d'éloignement auront été vaines : les familles sont toujours à Montreuil, qui est leur ville aussi bien que la vôtre.
Rien, pourtant, n'aura été épargné à ces personnes pour leur rendre la vie impossible, pour qu'elles se décident enfin à dégager : harcèlement policier les chassant et pourchassant dans la ville tout l'été 2016, refus de votre part d'installer des sanitaires et des douches afin qu'elles puissent conserver une hygiène correcte, refus d'envisager toute solution de relogement pérenne, refus de toute demande d'un terrain où les familles pourraient commencer à reconstruire une vie normale, reprendre leur activité professionnelle, assurer une scolarité régulière aux enfants déjà inscrits à l'école et procéder à l'inscription des autres, faire valoir leurs droits pour obtenir les aides sociales auxquelles elles sont éligibles. Pourtant, il y avait des friches disponibles sur Montreuil, que vous avez récemment laissé attribuer à des associations culturelles plutôt que de reloger les enfants sans abri. Mais il reste d'autres friches et des bâtiments murés utilisables.
Depuis onze mois, vous renvoyez le problème du relogement des familles de la Boissière à d'autres que vous : aux communes alentour, à la préfecture du département, à la préfecture de la région, au ministère du logement, et même à l'Europe ! Tous les arguments vous sont bons pour vous défausser du problème du relogement des personnes que vous avez jetées à la rue.
Des hébergements d'urgence de type 115 ont été obtenus après de longs mois d'attente, mais ces mises à l'abri en hôtel, ailleurs que sur Montreuil et parfois très loin, conçus à l'origine pour héberger des personnes seules, ne conviennent pas à des familles surtout quand elles ne reçoivent aucune allocation. Preuve en a été faite cet hiver, pendant lequel une famille étendue de onze personnes a vécu en hébergement d'urgence dans un hôtel de Saint-Denis trois mois durant, supportant leur quotidien dans des chambres sans cuisine et loin du collège de l'enfant scolarisé à Montreuil. Cette famille a « joué le jeu » de l'hébergement d'urgence, avant de se voir soudain changée d'hôtel pour une ville encore plus éloignée, et donc d'y renoncer et de se retrouver à la rue. Avez-vous songé au coût que représente cet hébergement d'urgence inefficace car totalement inadapté?
Vous avez échoué à effacer de la ville les familles de la Boissière. Venus de Roumanie - immigrés comme une grande partie de la population française dont l'histoire est européenne ou post-coloniale - les Roms qui vivent sans abri depuis onze mois dans la ville sont des Montreuillois de longue date. Ils sont en France et à Montreuil depuis plus d'une dizaine d'années et sur la vingtaine d'enfant qui grandissent à la rue, dans des conditions d'hygiène déplorables faute de sanitaires, la plupart sont nés dans notre pays et particulièrement à l'hôpital André Grégoire de Montreuil. Tous les montreuillois les connaissent.
Vous dites et répétez que vous ne pouvez rien faire, mais il est évident que depuis onze mois vous n'avez rien voulu faire pour reloger les familles dont vous considériez qu'elles n'avaient plus leur place à Montreuil.
Devant l'évidence de leur présence continue dans la ville, et sachant que vous ne pouvez accepter que des enfants montreuillois vivent à la rue plus longtemps, nous vous demandons avec force de favoriser le relogement des familles roms de la Boissière. Un terrain avec un point d'eau ou un bâtiment inoccupé, leur permettra de s'établir de manière plus durable et d'effectuer toutes les démarches leur permettant de sortir enfin de la précarité.
Des expériences montreuilloises telles que Ecodrom et le foyer des Sorins démontrent que des solutions locales, à petite échelle et demandant peu de moyens financiers sont possibles, pertinentes et efficaces. Il en va de même pour des expériences similaires dans d’autres communes, comme par exemple à Ivry (association Convivances).
Monsieur le maire, il est grand temps d’agir. Montreuil veut être une bulle de solidarité. Nous refusons de nous dissoudre dans l’océan d’égoïsme du capitalisme urbain, du racisme ordinaire et du darwinisme social au mépris des droits humains et des droits de l'enfant.
L'association Asphalte et des personnes solidaires
asphalte93@gmail.com