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Tandis que le petit Alberto s'apprête à fêter son deuxième anniversaire sur les trottoirs de la ville, tandis que son copain Léo fait ses premiers pas sur l'asphalte, tandis qu'une maman épuisée par les nuits dans une voiture, attend pour bientôt la naissance de son dernier sans savoir si un toit abritera le nourrisson à sa sortie de la maternité, Patrice Bessac se tait.
Trois cent quatre vingt cinq jours de silence, c'est inhumainement long. Et l'on se demande ce qui est arrivé au maire de Montreuil pour avoir à ce point perdu l'usage de la parole depuis qu'il a fait expulser treize familles roms de leurs habitations du 250 boulevard de la Boissière. Un sort de la fée Carabosse? Une bouderie homérique? Une irrémédiable extinction de voix?
Ah, non. Ce n'est pas un mauvais conte, ni une épopée sans héros, encore moins une sale maladie, à moins que si, finalement, ce soit les trois en même temps. Le silence de Bessac, c'est politique.
Rappelons-nous qu'avant de se taire, Monsieur le maire de Montreuil eut parlé ou plutôt écrit, avec six autres maires communistes de la proche et plus lointaine banlieue parisienne. Ils ont dit ce qu'ils avaient à dire au Préfet de la Région Île-de-France et même si, depuis, le nom du haut fonctionnaire a changé, les Six propositions des collectivités pour la résorption des bidonvilles, tiennent lieu, pour le co-signataire Patrice Bessac, d'épicétout.
Andréa, tu me réponds d'un air pincé "moi j'ai pas de maison" quand je te dis bêtement, "allez viens on rentre à la maison", puisque c'est ce qu'on dit à une enfant qu'on ramène chez elle après la promenade, en oubliant que "chez elle", c'est une voiture qui ne roule plus garée le long du cimetière. Mais as-tu bien lu les Six propositions des collectivités? Tu saurais que la responsabilité de cette "situation humanitaire dramatique" n'est pas celle de Patrice Bessac qui t'a mise sur le trottoir à quatre ans pour ton bien parce que ta baraque était insalubre et gênait l'opération immobilière en cours dans ce quartier de Montreuil, mais que c'est la faute à l’État, épicétout. Il y a des grues plantées dans toute la ville, on construit des immeubles de cinq étages sur des parcelles grandes comme un tapis de bain, on urbanise, on modernise, on bétonise mais dans ces bâtiments aux terrasses de standing et aux murs écolos qui respirent, il n'y a pas de place pour toi, ton petit frère et ton chien en peluche à cause du "manque inacceptable de structures d'hébergement et de possibilités de logements dont la responsabilité incombe à l'Etat", épicétout.
Manu, tu viens de célébrer tes vingt ans sur un trottoir de Montreuil, et sur d'anciennes vidéos on te voit tout minot avec ta famille, ce jour de novembre 2009 où vous avez été expulsés pour votre bien de la friche Barda parce que vos baraques étaient insalubres et qu'elles feraient mauvais effet sur les exposants et les nombreux visiteurs du salon du livre de jeunesse organisé juste en face. Aujourd'hui tu es père d'un petit montreuillois, mais as-tu bien lu les Six propositions des collectivités? Tu saurais que Montreuil a déjà beaucoup fait pour les Roms même si tu ne t'étais aperçu de rien, et que cette ville que tu connais comme ta poche puisque tu y as grandi et que ton garçon y est né, tu dois la quitter car "il n'est plus acceptable que seules certaines villes accueillent ces populations persécutées dans leur pays d'origine tandis que nombre d'autres refusent catégoriquement de les accueillir." Alors l’État doit te loger "prioritairement dans les communes n'ayant pas de projet d'accueil de ces personnes" comme toi, dans les villes qui ne veulent pas de Roms, pas de toi, pas de ton fils, puisque nul ne veut de vous, épicétout.
Marta, tu t’inquiètes pour ta maman et ton petit frère ou ta petite sœur qui va naître dans quelques jours. Ton angoisse de vivre ballottée entre deux pays, sans jamais de maison ou poser ton cœur et tes affaires, sans savoir ce que demain te réserve, te rend presque aussi muette que le maire de Montreuil qui t'a expulsée pour ton bien de ton logement dangereux et t'a mise en sécurité sur le trottoir à six ans. As-tu lu les Six propositions des collectivités? Tu apprendrais que le seul espoir pour toi, ce sont "les solutions souples et multiples, adaptées aux réalités" que l’État saura te trouver très très loin de Montreuil, sans qu'il en coûte un kopeck à une ville qui n'a jamais rien dépensé pour toi, épicétout.
Trois cent quatre vingt cinq jours de silence dans son bureau douillet pour l'un, trois cent quatre vingt cinq jours d'errance et de vie à la rue pour les autres? Qu'importe puisque les autres, ce sont des Roms. Ces "situations de grande précarité" peuvent bien attendre : que la préfecture et les communes aient un moment pour s’asseoir autour d'une table et choisir la meilleure solution d'élimination, que le maire de Montreuil retrouve enfin la parole, que les gouvernements successifs changent miraculeusement de politique vis-à-vis des Roms, que des dents poussent dans le bec des poules. Quel temps perdu! Quelques caravanes sur l'une des friches qui subsistent à Montreuil, et l'on aurait, en un an, déjà fait une partie du chemin qu'ils appellent "l'insertion durable de ces populations dans le droit commun".
Mais ils attendront encore, les Roms. Ils attendront que la guerre politique cesse, à moins qu'avec le froid qui vient et sans aide sociale, ils ne crèvent avant la saint-glinglin. À qui en incombera la responsabilité? Aux cadavres eux-mêmes, bien sûr.
Pour un rappel synthétique de l'histoires des treize familles roms expulsées du 250 boulevard de la Boissière : https://www.amnesty.fr/discriminations/actualites/roms-errance-a-montreuil
6 propositions des collectivités pour la résorption des bidonvilles, janvier 2016