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Billet de blog 18 mai 2016

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Observations sur la manif du 17

Cortège funèbre. Non que la contestation s'essouffle comme le répètent à l'envi les chaînes de propagande des milliardaires affairistes, adeptes du mensonge qu'ils vendent pour de l'info entre deux tunnels de pubs : il y avait « du monde », hier, dans la manifestation parisienne. Cortège lugubre pour un enterrement : celui d'une illusion.

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Illustration 1
Manifestations © Félix Vallotton

Cortège funèbre. Non que la contestation s'essouffle comme le répètent à l'envi les chaînes de propagande des milliardaires affairistes, adeptes du mensonge qu'ils vendent pour de l'info entre deux tunnels de pubs : il y avait « du monde », hier, dans la manifestation parisienne. Cortège lugubre pour un enterrement : celui d'une illusion. Que l'on était bête d'avoir un jour imaginé que nous étions relativement libres de manifester, de contester l'ordre policier et antisocial que les gouvernements successifs imposent à une société paralysée par un chômage de masse soigneusement entretenu, tenue en laisse par la frousse petite-bourgeoise et la menace terroriste. On n'était pas si naïfs, pourtant. On se doutait bien de quelque chose, on savait même l'histoire des luttes passées et le rôle des syndicats dans le retour musclé à l'ordre quand ils décident que le barnum a assez duré et que les clowns de « sympathisants » doivent rentrer chez eux. On faisait semblant d'y croire tout de même un peu. On ne pourra plus.

À quatorze heures, sur les pavés de l'avenue de Tourville, on trouve en tête de cortège plus de flics cuirassés et leur variante sous la forme des membres du SO que de manifestants. Des mecs, des mecs, encore des mecs, et des poilus ! Qu'ils ont fière allure ces baraqués, serrés épaule contre épaule, tenant d'une main ferme la cordelette séparant le bon grain syndicaliste de l'ivraie libertaire et, de l'autre, leur beau casque tout neuf. Ils lorgnent d'une mine rogue le groupe de jeunes qui se forme sur le trottoir et leur rigole sous le nez. « Ambiance bon enfant », dirait un journaliste s'il n'était occupé ailleurs. Pourtant, les fiers-à-bras ont un peu l'air vexé. Et ce groupe du troisième âge, affublé de casquettes bleues de sécurité « anti-heurt », flambant neuves, pour protéger les têtes chenues déjà réfugiées dans les jupes de la cognarderie. Passe un homme en costume clair sur lequel il a enfilé la casaque rouge, « FO la force syndicale ». Les jeunes et les moins jeunes, se marrent en répétant le slogan. Au milieu de toute cette volaille bigarrée : un essaim de caméras et de perches, on suppose qu'en-dessous, il y a les huiles qui causent. William Martinet de l'UNEF s'entraîne pour son premier discours de futur ministre de la culture ou des armées.

Le cortège avance, on entend : « Flics, SO, même combat ! ». Hop, les durs à cuire mettent aussitôt leur beau casque sur leur fragile caboche. La prochaine fois, il suffira de crier : « bouh ! »

Ils ont donc dit vrai, les mystificateurs de la télé : la CGT « se radicalise » ! La preuve : les gars de leur SO sont munis de matraques. Quand on pense à tous les sacs fouillés par les pandores, ils sont rudement fortiches de ne pas se les être faits confisquer, de n'avoir pas été embarqués pour port d'arme ! Ah mais pardon, ces délicats ustensiles sont pour taper sur ceux qui, en dehors des cordelettes, font le mouvement depuis des mois, sur ceux sans lesquels les défilés ballons-saucisses auraient depuis longtemps fait taire leur sonos braillardes et repliés leurs petits drapeaux. Sur ceux qui en ont un peu assez d'avoir l'autorisation de contester seulement sur convocation, en restant bien dans les clous et dans le ton : « tous ensemble, tous ensemble, grève générale ! » Mais oui : avec une « action » toutes les dix semaines.

Outre celui de l'enfumage, l'amour de l'hyperbole est un trait caractéristique des médias aux ordres. Un petit feu allumé devant le café La Rotonde, boulevard du Montparnasse et c'est la guerre, on est en Syrie. Quelques projectiles rebondissent sur les grilles qui obstruent la rue de Rennes, et derrière lesquelles sont retranchés les CRS qui balancent leurs grenades assourdissantes, leur bidule dangereux de désencerclement et leurs lacrymos : voici les casseurs « d'une extrême violence et de mieux en mieux organisés ». Un panneau publicitaire brisé, et voilà les fameuses « dégradations ». Dans le ciel ronronne l'hélico. Les photographes sont aux anges, ils aiment les flammes, la fumée et le verre cassé.

La tentative de rejoindre Matignon par une rue latérale a fait pschiiiit et des nuages de gaz. Cortège funèbre. À peine arrivé à Denfert, on reçoit du poivre dans le nez, sans avoir le temps de demander notre reste au lion de Belfort qui regarde fixement en direction de la statue de la liberté, entouré par une brigade de CRS. À la radio le président à dit qu'il ne céderait pas. Il a envoyé l'armée un peu partout en Afrique et ailleurs. Pourquoi pas les chars sur les pavés de Paris.

 Mais cortège heureux! Au lieu des terribles « casseurs », j'ai trouvé une jeunesse active, déterminée et de bonne humeur, qui préfère la raillerie aux coups mais ne recule pas quand il faut tenir tête à ceux qui veulent la faire taire. Un peu d'espoir, donc, aussi.

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