Aux ordres

Manuel veut les avions. Manuel veut l'aéroport de Notre-Dame des Landes, il veut les pelleteuses et les rouleaux compresseurs, il a le goût du goudron. Il veut le tarmac et le kérosène, Manuel. Il veut l'embarquement et le débarquement, l'autoroute et les bagnoles tout autour de l'aérogare, la douce musique des réacteurs tonitruant au-dessus de ce qui restera de campagne. Non, ce n'est pas cela. Avions, trains ou center parcs, barrage ou gaz de schiste qu'importe ! Manuel veut la peau des zadistes. Il aime l'ordre, Manuel. Qu'est-ce que l'ordre ? C'est quand tu fermes ta gueule, citoyen. Quand tu la boucles, depuis l'école jusqu'à la tombe. À la rigueur tu l’entrouvres, ta bouche en cul de poule, pour acquiescer à cette modernité si moderne que les profiteurs coalisés organisent pour toi. L'ordre, selon Manuel, c'est le pouvoir. Les flics carapacés, la lacrymo et les grenades offensives. La peur inoculée par la télé aux petits-bourgeois qui vont voter. L'amour de l'argent, des calculs d'épicier et de la soumission. La haine de l'esprit, de la culture et de la liberté. La haine des zadistes qui montrent l'exemple, qui dénoncent par leur existence même le mensonge de ton ordre policier, Manuel, qui n'est rien d'autre que de la privation de liberté. La liberté de dire non aux spéculateurs sans scrupules et aux édiles vendus, tu n'en veux pas. La liberté de reprendre possession de notre propre élément quand depuis longtemps il nous est confisqué, te fait horreur. La liberté de réapprendre à vivre dans notre environnement, quand nos enfants ne savent plus comment poussent les courges ni à quoi ressemble un poisson, te répugne. La liberté de montrer que l'ordre est possible sans le pouvoir, te terrorise. Alors tu voudrais tout goudronner, Manuel. Écraser ces dangereux terroristes de la cabane dans les arbres et du jardin potager, sous une lourde chape de béton.