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Billet de blog 20 février 2017

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Jeunes en 2017 (5): Axelle

Chaque semaine, et pendant un an, une petite histoire de la vraie vie d'un jeune en 2017. Aujourd'hui, Axelle veut faire son métier.

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Illustration 1
(détail) © Béatrice Boubé

Elle n'en a pas dormi de la nuit. Le ronron du périphérique qui la berçait les premiers temps de son installation, accompagne maintenant ses heures d'insomnie. Et si l'équipe avait raison ? Axelle s'était lancée sans hésiter dans les études d'infirmière, à dix-huit ans, sûre de sa vocation. Elle voulait soigner, aider les gens à surmonter la maladie, à vaincre la souffrance. Médecine, c'est trop difficile, lui avait-on dit. Soit. Elle serait infirmière. Après deux semaines de stage à hôpital, Axelle doute : si elle s'était trompée et devait « revoir son orientation » ?

L'infirmière titulaire l'a prise entre quatre yeux, hier soir, et l'a complètement cassée : « qu'est-ce que tu fais ? », lui a-t-elle demandé. « T'es beaucoup trop dans le relationnel, à la limite de la familiarité avec le patient. Ça fait perdre du temps, tu comprends ? » L'équipe lui reproche sa lenteur, elle le sait depuis qu'elle a surpris l'une de leurs conversations dans le bureau des infirmiers. Elle s'activait dans la salle de soins quand elle a tout entendu : « trop lente la nouvelle stagiaire, un vrai boulet celle-là, il faut qu'elle revoit son orientation ».

Pourtant, se dit Axelle en descendant du train de banlieue sous un ciel gris, on est là pour soigner des gens, pas simplement des hernies discales ou des tumeurs, des fractures à la chaîne. Elle pense à la vieille dame renversée par une voiture, à son corps fragile. Depuis l'accident et sa fêlure de l'os crânien, la patiente ne parle plus. Et il faut faire la toilette vite vite, le pansement vite, hop les médocs, et on passe à un autre lit. Pas même bonjour en entrant ni au revoir en sortant, pas le temps de lui expliquer ce que l'on va lui faire pour la tranquilliser.

Axelle enfile sa blouse. Les deux autres stagiaires bavardent gaiement dans le vestiaire. Elles trouvent leur stage génial, l'équipe soudée et à leur écoute. Le problème, c'est Axelle.

Tout est en ordre dans la chambre. Le soleil a percé les nuages et les stores à lamelles jettent de fines ombres sur les murs bleu pâle. La vielle dame a les yeux fermés. Axelle commence la toilette par le visage, les membres supérieurs, thorax, abdomen avec le gant n°1, en faisant bien attention à ne pas lui faire mal. Elle ne peut s'empêcher de parler à la patiente, elle sent que ça la calme. L'aide soignante de jour la regarde faire. Axelle perçoit son agacement. Elle va changer l'eau pour le gant n°2. L'aide soignante lance : «bon, je vais t'aider parce qu'on va pas y passer la journée. » Mais quelqu'un l'appelle et elle part. Axelle termine seule, les membres inférieurs, les fesses, elle sèche doucement la peau. Quand c'est fini, elle jette un dernier regard à la patiente en poussant le chariot de soins. La vielle dame a entrouvert les yeux et la regarde. Axelle l'entend prononcer le mot « merci ».

Dessin de Béatrice Boubé

Illustration 2
© Béatrice Boubé

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