
Malgré le crachin tiédasse, impitoyable dans sa constance, qui leur tombe sur la tête depuis que le calendrier a déclaré le printemps, les Français sont désespérément heureux. Le soleil a déserté le ciel pour mieux luire dans leur cœur, les Français jubilent : ils ont un chouette de gouvernement.
Et quand une population a le bonheur d'être dirigée par des hommes et quelques femmes réalistes et responsables, aussi soucieux de défendre l'égalité de leurs concitoyens et le partage des richesses, que de garantir la sécurité et la liberté d'expression de tous dans une belle démocratie, c'est que les électeurs ont voté pour un véritable président de gauche, un ennemi juré de la finance et de ses suppôts, un petit pépère du peuple, un authentique socialiste.
Ils ont envie de clamer leur joie, les heureux gaulois. Certes, ils le font après les matchs où sur des pelouses glissantes mais bien vertes, leur glorieuse équipe nationale de balle au pied remporte les victoires magnifiques qui n'ont d'égales que celles de leur grande armée sur les terrains exotiques pleins de jolies petites filles, où nichent les méchants ennemis que financent les gentils amis. Mais ça ne leur suffit pas, aux Français. Si vaste est leur félicité qu'il veulent un beau défilé pour exprimer leur gratitude, ce jeudi même, entre Bastille et Nation.
Une manifestation d'amour. Car comment mieux montrer au premier ministre et à ses sbires toute la reconnaissance d'un peuple qui, après des années de souffrance et d'aliénation sous la droite, connaît enfin l'émancipation et la justice socialiste ? La misère se fortifie, les armes se vendent bien, le plein emploi est presque là grâce aux justes mesures pro-précarité, la loi vise à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les patrons, les étrangers chassés de leur pays par des guerres cruelles sont accueillis ici comme des chiens, la nature, bientôt libérée de toutes les menaces des zadistes et des tritons crêtés, disparaîtra enfin sous la beauté moderne des aéroports et des barrages en béton armé. La vérité est érigée en valeur suprême. Les vieux sont radieux et, pour les jeunes, ça gaze.
Mais le gouvernement est trop modeste et refuse les acclamations. Il demande au peuple de cacher un peu cet enthousiasme qui l'étreint, et il voudrait interdire la manifestation du jeudi 23 juin, entre Bastille et Nation. Il préférerait, le gouvernement, une fan zone : un rassemblement discret, une population immobile sagement installée sur la place et sévèrement encadrée par la douce police à l'esprit joueur, qui aime à s'égayer au lancer de palais lacrymogène et de grenades de désencerclement.
Il y a de l'électricité statique dans l'air : le peuple ingouvernable défilera malgré tout.
Jeudi, il fait beau.