
Agrandissement : Illustration 1

Le pouvoir est paranoïaque. Inquiet de tout ce qui vit, de tout ce qui se meut, se questionne, le questionne, interroge sa légitimité, la conteste : prêt à user du marteau-pilon de la violence d'état pour écraser la parole libre de ces mouches du coche que sont ceux et celles qui ne se résignent pas à sa force. Et pour commencer, insinuer le froid serpent de l'intimidation.
Un dessinateur reporter est invité à exposer son travail engagé auprès des réfugiés dans une maison de quartier d'une commune de banlieue. La mairie le connaît bien, celui-là. L'été dernier, il a dessiné une fresque sur un mur du théâtre donnant sur la place. Avec ses amis peintres, ils ont représenté les familles rroms chassées de leurs habitations et jetées à la rue. Fresque quatorze fois effacée par le pouvoir, badigeonnée de peinture blanche, autant de fois recommencée, pour que les quarante personnes sans abri ne soient pas oubliées. La mairie ne l'aime pas beaucoup celui-là, elle n'aime pas ses amis non plus.
Le dessinateur convie d'autres artistes, des personnes investies dans différentes actions auprès des laissés pour compte du bonheur capitaliste et des joies de la société de consommation, auprès des exclus de l'embourgeoisement qui frappe de plein fouet les communes de la petite couronne parisienne au dépens des plus modestes. Il leur propose de participer à la fête de quartier, à utiliser l'espace pour exprimer leurs idées, leurs inquiétudes, leurs engagements. Il y aura une buvette et des merguez-frites mais aussi des associations, les familles rroms qui vivent toujours dans la rue, des personnes sans-papiers, la chronique d'Amnesty, une revue de critique sociale, des collectifs, des témoignages, des enfants qui courent sur les trottoirs, des gens du quartier et d'ailleurs et de la vraie musique jouée par de vrais musiciens qui soufflent dans leurs beaux instruments à vent. Ça fait peur, tout ça.
Le pouvoir est paranoïaque. Il surveille, il écoute, il est aux aguets sur les réseaux sociaux, il se fait des trouilles bleues le pouvoir. Il ne veut surtout pas qu'on fasse de la politique dans sa maison de quartier. Pensez-donc, quelle horreur des citoyens qui parleraient politique à deux jours des élections ! Que les électeurs aillent sagement voter, et bien : c'est assez. Surtout pas de vagues, rien sur la vie des gens qui continue pendant le spectacle électoral, leurs galères, la violence subie, les souffrances vécues. Et les sans-abris, s'il leur prenaient l'idée d'occuper la maison de quartier plutôt que de rentrer bien tranquillement "chez eux", c'est-à-dire dehors? Si la joyeuse fête n'était qu'un cheval de Troie? Panique soudaine. Le pouvoir menace d'annuler la fête de quartier, aux accents finalement trop libertaire à son goût. Il pourrait y avoir des militants et pas seulement de gentils artistes inoffensifs : catastrophe. Le pouvoir a peur, alors il faut le rassurer. Pour que la fête ait lieu malgré tout, il faut montrer patte presque blanche, se présenter sous son meilleur profil, celui du citoyen engagé mais raisonnable, duquel il n'y a rien à craindre, aucun débordement ou si peu, et finalement se trahir soi-même, trahir les autres. L'intimidation qui sape la confiance en soi est le premier stade de la barbarie du pouvoir. La paranoia du pouvoir est contagieuse.
Le pouvoir a peur mais il s'imagine quoi ? Qu'une fête de quartier sera le premier acte de l'insurrection qui, c'est vrai, tarde à venir ? Que la révolution va partir de ce coin de rue, entre le stade de foot et le vieux château d'eau ? Les paranoïaques ont toujours raison, dit-on.
Le pouvoir est paranoïaque tant il se sait fragile. Pas faible, non. Il a pour lui toutes les ressources de la violence autorisée, qu'il n'hésite pas à utiliser. Et il ne s'agit pas simplement de la peur du renversement d'une prétendue « majorité » provisoire par une autre prétendue « majorité » tout aussi provisoire. Le pouvoir s'effraie de sa fondamentale illégitimité. Le ver du doute est dans le pouvoir, ce fruit blette qu'un souffle un peu fort fera tomber.

Agrandissement : Illustration 2


Agrandissement : Illustration 3


Agrandissement : Illustration 4


Agrandissement : Illustration 5


Agrandissement : Illustration 6


Agrandissement : Illustration 7


Agrandissement : Illustration 8


Agrandissement : Illustration 9


Agrandissement : Illustration 10
