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Si les mots n'étaient vidés de leur sens, chaque jour saignés par les sophistes assassins de l'esprit, si l'on pouvait encore écrire des phrases qui soient lues, tisser des textes où développer sa pensée, s'adresser à l'autre pour qu'il nous écoute et nous réponde, si la communication n'était pas affaire de spécialistes à la solde du mensonge, si les paroles partout répétées ne ressassaient pas de vides slogans publicitaires, nous entendrions peut-être la voix de ceux et celles qui disent : attention, l'horreur est à nos portes, l'horreur est chez nous et elle n'a pas seulement le visage des terroristes.
« Amusez-vous ! » lance aux Strasbourgeois le ministre de l'intérieur en imperméable noir s'avançant en bonne escorte dans les travées illuminées du marché de Noël. Paternel, le chef des poulagas intime l'ordre de joyeuse permission à ceux de ses concitoyens qui ont encore la possibilité de consommer des spécialités locales produites par des ouvriers lointains. Amusez-vous braves gens, puisqu'on vous dit que vous êtes protégés.
Il est de bon ton d'avoir le sens de la fête pour faire marcher le commerce national et affirmer dans les micro-trottoir qu'on n'a même pas peur. Mais la fête a, de plus en plus, le goût détestable des cendres. Certains appelleront ceux qui s'en soucient professeurs de désespoir ou prophètes de malheur et ils se tourneront du côté du mur pour contempler les ombres encore belles, les deniers mirages d'opulence et de démocratie.
Pourtant, sur un autre mur, on peut lire ce crachat haineux griffonné à Montreuil : « extermination totale de ces cafards de Roms! » Au Raincy, le maire refuse l'entrée de la mairie à une femme portant un foulard sur ses cheveux : elle voulait photographier son neveu lors de la distribution de cadeaux de Noël. Sur une chaîne publique, on qualifie un journaliste à la parole libre « d'ennemi de la nation », le désignant implicitement à la "juste" vindicte des "patriotes". A Boulogne-Billancourt, un incendie criminel détruit un immeuble habité par des travailleurs immigrés et fait un mort. La traque des réfugiés et la criminalisation des personnes qui les défendent se poursuivent et chacun sait que les prisons débordent de condamnés pour rien ou si peu, qui n'ont pas été dispensés de peine. D'ailleurs, on ne sait toujours pas pourquoi est mort Adama Traoré tombé dans les mains des flics. Sur les réseaux sociaux, on assiste avec effarement à la réduction d'une guerre meurtrière, tuant des civils dont de nombreux enfants, à de basses empoignades entre chapelles de petits partis, comme s'il ne se jouait à Alep rien de plus qu'une mascarade de la « vraie » gauche française en compétition dans la prochaine farce électorale.
Il n'y aurait donc pas que les micro-particules pour empuantir l'air ?
Ne respirez plus, amusez-vous : c'est un ordre.