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Petit matin frisquet et encore obscur malgré le lent allongement des jours. Ça va ça vient à l'entrée du RER d'une commune de la banlieue parisienne. Val-de-Marne, urbanisme hétéroclite de pavillons et de cités, populations mélangées. On relève le col de son manteau, on resserre son écharpe et on presse le pas autour de la morne gare: c'est janvier. Voici Blaise, il a dix-huit ans, il est étudiant en art et porte ses vêtements d'atelier. Blaise est peintre, son jean, ses chaussures tachées exhibent les traces colorées des toiles qu'il crée et l'on imagine qu'en frayant son chemin dans l'aube, les cheveux en pétard, ce sont des formes et des couleurs, des pensées faites tableau qui lui emplissent la tête et le protègent du froid.
Trois hommes sont là, postés à la sortie de la gare, vêtus d'uniformes sombres d'aspect policier que Blaise ne parvient pas à déchiffrer : police (laquelle? Pas la BAC que le jeune homme a appris depuis longtemps à reconnaître), trio « sûreté » de la RATP ? Il leur jette un rapide coup d’œil en s'avançant dans la rue. Mais quelques pas plus loin, une main fermement plaquée sur son épaule l'arrête. Contrôle d'identité. Les hommes en uniforme interrogent Blaise devant la foule qui passe. Il lui demandent s'il a tagué toute la nuit, s'il consomme du crack, d'où il vient, où il va, pourquoi il se trouve ici maintenant. Ils le fouillent devant les gens pressés. Ils notent sur un carnet les informations de sa carte d'identité avant de le laisser partir.
Il est à peine neuf heures dans une commune de la proche banlieue parisienne, l'air est glacial. Blaise ne peut plus compter combien de fois il a déjà été contrôlé, interrogé, fouillé, suspecté, seul ou avec ses copains. Dans la rue, dans le parc, sur les quais du RER, partout, à n'importe quelle heure et par des hommes dont il ne sait pas toujours qui ils sont, de quelle police ou de quelle milice, ni de quel droit ils surgissent à tout moment pour lui pourrir la vie. « J'ai l'impression d'avoir sans cesse des flics derrière moi, dit-il, qu'il suffit de me retourner pour être contrôlé. » Au lieu de formes, de couleurs et de beauté, Blaise commencera sa journée avec un flic dans la tête.
Dessin de Béatrice Boubé

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