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L'été bascule vers sa lente agonie. Déjà on annonce la rentrée mais jamais le mot vacances ne fut si vide de sens. Pas de repos estival pour ceux sur qui la force froidement s'abat : les sans dents et sans droits, les sans pouvoir et les sans voix, en un mot : la population, ces 99% constituant un vaste tiers-état face à la domination des puissances de l'argent et des États complices ; et parmi ceux-là, les plus fragiles, les plus dominés. Et c'est encore sur la population que se déchaîne la haine des assassins de masse, excitant leur fureur meurtrière contre leurs voisins désarmés, qu'ils se sont érigés en ennemis.
L'état d'urgence indéfiniment prolongé ne protège pas la population. Elle autorise l’État à surveiller et à réprimer davantage. On a vu s'abattre la violence policière sur les boulevards pendant les manifestations contre la loi travail, sur les places où se sont réunis les participants aux nuits debout, on le voit chaque jour à Calais ou du côté de Stalingrad quand la police fond sur les réfugiés et leurs soutiens qu'elle matraque et arrête. On la voit dans les commissariats. Des manifs sont interdites, il n'est plus possible, faute d'avoir un toit, de dormir dans la rue. La violence policière, c'est aussi cette traque quotidienne, harassante, des familles Roms expulsées qui errent depuis le 28 juillet dans Montreuil et sont chassées plus ou moins vite de tous les lieux où elles posent leurs quelques affaires. La police obéit aux ordres, toujours. Elle est là pour ça parait-il. Et les ordres disent : répression de ceux qui ne demandent rien si ce n'est de vivre en paix, criminalisation des citoyens pacifiques qui luttent contre l'oppression. Ce bel été, fut aussi celui du licenciement d'un syndicaliste salarié d'Air France, validé par la ministre socialiste malgré l'avis contraire de l'inspection du travail. Ah ! L'horreur d'une chemise arrachée !
On s'accorde à constater l'effacement de l'ancienne différence entre la gauche et la droite, l'uniformisation des discours et des actes politiques réglés au diapason d'une droite dure, autoritaire, nationaliste et xénophobe. La loi « travail », favorisant les intérêts des tenants du capital contre les travailleurs, est imposée par un gouvernement de gauche qui ne veut même plus jouer la comédie d'un vote du parlement pourtant aux ordres. Un arrêté interdisant une tenue de plage est pris à la faveur d'un fait divers par un maire de droite, imité par un maire socialiste, et reconnu acceptable par le premier ministre qui se dit de gauche. Et puisqu'il n'y a décidément pas de burkini sur les plages de Cannes et de Nice, la police verbalise des femmes musulmanes pour leur hijab, ce simple foulard noué sur les cheveux. À Montreuil, on entend cette question sur la place Jean-Jaurès : à quoi bon avoir élu un maire, candidat à la tête d'une liste « gauche plurielle », si c'est pour voir des enfants Roms jetés à la rue ? On entend aussi : je ne voterai plus. Des élus du conseil municipal signent la pétition exigeant une solution urgente à une situation créée par la mairie. Des militants du PCF tractent à la sortie du métro contre la loi travail, on leur parle des Roms : ah, mais c'est autre chose... La parole politique se brouille, la cohérence est une notion périmée : mais si on n'y comprend rien, ce n'est pas parce qu'il n'y a rien à comprendre que lâcheté, opportunisme et cynisme, non ! C'est parce que tout est « complexe ». Et les électeurs du FN font semblant d'être furieux que nous défendions des familles Roms, qui pour être Roms ne sont donc pas montreuilloises même si ces familles vivent dans cette ville depuis dix ans, même si les enfants sont nés à Montreuil. Les adorateurs de la fureur bleue marine feignent la colère : « C'est à cause de gens comme vous que le FN monte ! » Ils se frottent les mains. Du haut en bas de la société, les propos racistes ne se retiennent plus : ils sont légitimités par le contexte politique et les médias. Pourquoi la mairie de Montreuil et la préfecture se bougeraient pour reloger des familles Roms puisque le premier ministre a dit qu'ils ont « vocation à rentrer chez eux. » Allez ouste ! Des vies brisées, ça ne leur coûte pas cher, surtout quand ce sont des vies de Roms.
Une campagne électorale va s'ouvrir, le monde politico-médiatique annonce ça comme le grand spectacle de l'année, la glorieuse compétition sportive franco-franchouillarde où s'affronteront les champions de l'embrouille et de l'arrivisme. Les candidats pressentis dégoûtent déjà l'électeur avant même le début du grand barnum. Le pays a la nausée. Et que fait la population face à l'oppression qu'elle subit ? Elle se fragmente, elle se déchire, se fragilise. Des dominés s'en prennent aux plus dominés qu'eux. Certains suivent docilement les maîtres croyant ainsi sauver leur peau, d'autres s'engagent dans des luttes perdues d'avance, où il n'y a que des coups à prendre, les légalistes chipotent longuement le dernier bout de gras. Et on attend Godot. Si, si... il vient!