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Billet de blog 25 novembre 2017

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Étriller les pauvres

Aux pauvres, le pouvoir imbécile livre une guerre totale et sans merci.

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Illustration 1
Montreuil, avril 2017 © Gilles Walusinski

Aux pauvres, le pouvoir imbécile livre une guerre totale et sans merci. Grands bourgeois détenteurs de joufflus comptes en banque, héritiers ou frais enrichis par la magie de la spéculation boursière, capitalistes de la hausse du prix de l'immobilier et du placement rentable, petits bourgeois qu'un crédit étalé sur une vie d'homme attache à son pavillon de banlieue et à son compte d'épargne comme une moule à son rocher, toute cette population d'honnêtes propriétaires honnissant l'impôt, dont les plus faiblards rêvent de devenir fortiches en louant leur chambre d'amis par Airbnb, accourt sur convocation et comme une seule créature aux mille mains blanches, là où l'appellent l'honneur et le devoir : aux urnes. Ils votent. Et par leurs suffrages exprimés confient le pouvoir au bourgeois parvenu une fois, au bourgeois bonhomme une autre, au jeune bourgeois aux dents longues quand son tour de passe-passe est venu. Qu'importe la ganache du monarque républicain pourvu que les affaires se maintiennent et que le capital grossisse. De l'ordre! De l'ordre bourgeois! C'est ce que veulent les détenteurs d'économies et du bon goût, surtout en ces temps troublés où les guerres qu'ils ont déclenchés de ci-de là mettent des millions d'exilés sur les routes dangereuses de la survie et dont ils n'avaient pas prévu que, partant de si loin, elles mèneraient à leur paillasson. Welcome, bienvenue : mots sur lesquels il convient d'essuyer ses semelles crottées avant de ne pas entrer.

Mais le pouvoir est imbécile, c'est-à-dire faible. Et la domination des possédants fragile. Comment expliquer sinon, qu'au lieu de s'adonner paisiblement à leurs activités d'enrichissement personnel par l'exploitation du travail d'autrui et à leurs micmacs de corruption ordinaire, les détenteurs du pouvoir et de la violence légitime qui en est l'apanage, dépensent tant de leur énergie et d'argent public à étriller toujours plus fortement les pauvres? Le pauvre, c'est l'obsession du pouvoir bourgeois. Sans le pauvre, il n'est rien comme n'existe pas de premier de la classe en l'absence du cancre.

Les naïfs voient dans la multiplication du nombre de pauvres, le symptôme disgracieux d'une société qui ne fonctionne pas. Erreur. Plus il y a de miséreux, plus les bourgeois se sentent confortés dans la supériorité de leur être bourgeois. Tout leur est dû puisqu'ils ont tout mérité : la preuve, ils ont l'argent! Pas question que les fils et les filles de pauvres, mieux armé.es par leur fréquentation des écoles dans la guerre sociale où il sont né.es perdant.es, obtiennent des diplômes leur permettant de chiper les places des enfants des bourgeois. A elleux l'échec scolaire, la voie de garage, le chômage à vie et la discrimination à l'embauche s'ils sont noir.es, musulman.es ou roms. L'ascenseur social est plus en panne que celui des tours HLM d'Aubervilliers : il est saboté par les bourgeois. Pas question que les sans-abri ouvrent les baraques abandonnées pour passer la froidure sous un toit. Police et justice volent à la rescousse du propriétaire, fut-il communal, et embastillent à Fleury pour tentative de vol avec effraction, et après molestations d'usage, les pauvres s'étant approchés de trop près d'une maison murée. Chaque pauvre à la rue contribue à la hausse des loyers et du prix du mètre carré. Certes, les expulsions coûtent un peu, toutefois la pauvreté des autres reste un investissement d'un bon rapport. Mais le pouvoir bourgeois n'est pas chien : il fait des lois qui protègent le pauvre, lui accorde une trêve hivernale de l'hostilité des huissiers, qu'il s'empresse de violer pour protéger le pauvre de l'insalubrité périlleuse du bidonville en écrasant au bulldozer préfectoral sa cahute mal isolée. Pas question que les pauvres associés à des moins pauvres, contestent, se rassemblent et s'auto-organisent : le pouvoir bourgeois assigne à résidence ceux qui en ont encore une, ces odieux terroristes anarcho-libertaires.

Par la gestion frénétique du vivier des pauvres, qu'il se doit de taxer, gardienner et punir, le pouvoir bourgeois croit embobeliner la mouvante couche de l'entre deux, cette classe incertaine des ni pauvres ni riches, horrifiée de retomber dans le prolétariat où croupissaient les grands-parents, empêchée d'accéder à une bourgeoisie suffisamment confortable pour tranquilliser les esprits épiciers. Angoissée de perdre le petit capital chèrement accumulé, son identité fragile l'inquiète, elle est tentée par les appels à la vindicte anti-élites et à la chasse aux boucs émissaires racisés, par le vote populiste. Jusqu'où le pouvoir bourgeois est-il capable d'aller, dans l'inhumanité de sa chasse au pauvre, à l'étranger, au racisé, au marginal, pour tenter de rassurer le marais bourbeux, bain de mauvaise culture d'où peut renaître la réaction fasciste? Jusqu'au bout du chemin, jusqu'à ce carrefour ténébreux où la réaction fasciste croisera les intérêts du pouvoir bourgeois.

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