Au moment où chacun s'accorde à chercher dans notre éducation publique un soutien fondamental pour la création et le maintien du lien social, en cette période troublée où les repères qui organisent le « vivre-ensemble » semblent se brouiller, où chaque décision concernant l'instruction de tous les enfants de France devrait être pesée et mûrement réfléchie, c'est pourtant l'impression de bricolage et d'impréparation qui domine. Une réforme du collège à la va-vite, sans doute bâtie sur de bonnes intentions, mais une réforme imposée d'en haut, trop rapide dans sa mise en œuvre et donc bâclée.
Censée lutter contre les inégalités scolaires qui contribuent largement à cette reproduction sociale dont on connaît de longue date les mécanismes sans jamais parvenir à les enrayer en faveur de la justice sociale et de l'égalité de tous les enfants quelle que soit leur origine, la réforme du collège telle qu'elle est aujourd'hui prescrite n'aura au mieux aucun effet, au pire un effet négatif : un collège à deux vitesses. On le voit dès à présent avec le maintien apparemment arbitraire des classes de sixième bilangue dans certaines académies et leur disparition dans d'autres. L'élitisme traditionnel, qui se perpétue à travers le jeu des options sélectives au profit des enfants des milieux favorisés, ne sera pas dépassé puisque ses tenants ont les moyens culturels, financiers et politiques de défendre leurs intérêts là où ils se trouvent. Mais qu'en est-il pour les enfants des quartiers et des zones rurales en difficulté ?
Si les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) inspirés par la pédagogie de projets semblent une perspective tentante au premier regard, ils ne peuvent pas se faire au détriment des enseignements disciplinaires (qui perdront des heures), ni sans réflexion réelle quant à leur contenu et leur évaluation, par manque de temps (doit-on rappeler que tous les programmes de toutes les classes du collège changent d'un seul coup à la rentrée prochaine entraînant pour les professeurs un travail considérable de préparation de cours auquel il va falloir ajouter celle des Epi au contours des plus flous?), et absence de concertation. Ils ne peuvent pas non plus se faire dans la dépendance vis-à-vis des ressources locales : il ne doit pas y avoir des EPI de riches et des EPI de pauvres. Une part déjà trop importante du travail de l'enseignant est consacrée à la recherche de subventions diverses, voire de sponsors privés, pour financer des projets pédagogiques. Cette tendance va s'accentuer, car à quoi bon cet « enseignement pratique » sans aucun moyen d'aboutir à une réalisation ? Mais la collecte de fonds, est-ce bien le métier du prof ?
L'autonomie donnée à chaque établissement dans l'utilisation d'un certain nombre d'heures à affecter, va nécessairement entraîner une concurrence entre les disciplines, chacune cherchant à « récupérer » des heures pour valoriser sa matière et maintenir les postes. Concurrence aussi entre établissements, qui se targueront de présenter tel ou tel projet séduisant comme une vitrine alors qu'il est primordial d'assurer à tous les élèves la même qualité d'enseignement, en répartissant équitablement les moyens pour compenser les inégalités sociales, quel que soit le collège de secteur.
L'autoritarisme n'a jamais fait une bonne politique et encore moins une bonne politique éducative. On ne peut changer le collège et combattre les inégalités avec trois bouts d'idées rapidement ficelées autour de la machine à café afin de compléter en temps et en heure des grilles préétablies par le ministère, et participer ainsi sans protester à ce qui ressemble de plus en plus à une opération de communication de grande ampleur. Les enjeux sont trop importants. Une vraie réforme cohérente, orientée par une réflexion pédagogique de fond, disposant de moyens adaptés à ses amibitions, et raisonnable dans sa mise en œuvre est plus que jamais nécessaire. Il n'est pas trop tard.