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Un bus parisien, du type rallongé, à soufflet central. Les nuages sont de ceux, joufflus et blancs, qui menacent sans éclater : ils passent, lourds, dans le ciel bleu par-dessus l’opéra. Nous partons de Bastille, terminus. Peu à peu, le bus s’emplit d’une foule diverse. C’est encore les vacances scolaires, en pleine après-midi il y a des étudiantes qui rigolent, des vieux et des vieilles, des mères avec leurs ados. Les gens bavardent. Les conversations sont légères : ça parle de la vie quotidienne, des prochains congés d’été, de ce qu’il ne faut absolument pas oublier de faire sinon... Un Antillais longiligne raconte le pays à une jeune femme, plutôt replète, à queue de cheval : elle lui sourit sur fond de beffroi. Nous longeons la gare de Lyon, traversons la Seine qui, sous le soleil, à des reflets de bord de mer. Sur le mur de la gare d’Austerlitz nous lisons avec plaisir ce graffiti : « vive la grève. » Nous nous sentons dispos, libres, sans le poids du travail, pour une fois.
Mais soudain l’ambiance tourne à l’aigre. Parmi les voyageurs, une petite dizaine rompent d’un coup leurs conversations, se tournent vers nous et changent de visage. Ils crient : « Contrôle des titres de transport, s’il-vous-plaît ! » Certains sortent de leur poche des brassards fluo, mais pas tous. C’est la replète à queue de cheval qui nous contrôle tandis que l’Antillais verbalise, à l’arrière, une femme penaude. Les contrôleurs descendent à l’arrêt suivant, en riant, laissant derrière eux un air plus épais.
C’est cela, une rafle, quand des individus à l’apparence très ordinaire, que rien ne peut distinguer des autres, se tournent soudain vers toi et ont le droit de contrôler si tu as un billet valide, des papiers en règle, ton laisser-passer, ton certificat d’aryanité, ton permis de vivre ou si tu es bonne pour le procès-verbal et la déportation. C’est leur boulot, qu’ils et elles font avec dynamisme et bonne humeur, contre salaire.
Dors tranquille, toi qui n’a rien à te reprocher.