Votre profession?

Non, je préfère ne pas. Vous me demandez de décliner mon identité. Comme la vôtre, elle est plurielle et variable. Nous pourrions deviser ensemble de nos identités, longuement, de ce qu'elles ont de semblable et de leur indépassable différence. Mais ce n'est pas ça. Vous ne me demandez pas de me raconter, vous ne m'interdisez pas non plus de le faire, libre à moi de parler, libre à vous d'aller voir ailleurs. Vous voulez mon nom et mon prénom, que je vous les donne une bonne fois pour toutes. Nom, prénom de naissance, nom et prénom hasardeux, mais qui sont inscrits en bonne et due forme sur mes papiers authentiques, certifiés par les autorités. Ceux que je pourrais m'inventer ne vous intéressent pas. Ils sont mensongers, dites-vous. Ils me dissimulent, ces noms choisis. Or, je n'ai rien à vous cacher, n'est-ce pas ? Vous en apprenez tant par la simple lecture d'un nom, vous en espérez la révélation d'une lignée : tout un monde dans un patronyme. Alors, vrai nom ? vrai prénom ? Vous froncez le nez. Vous n'êtes pas encore satisfait. Non, je préfère ne pas. Vous me demandez maintenant ma profession. De quoi parlez-vous ? De ce qui m'anime, de ce qui me donne chaque matin le courage de naviguer jusqu'au soir ? Libre à moi de disserter sur mes hobbies, libre à vous d'aller voir ailleurs. Vous voulez connaître la source de mes moyens d'existence. Qui me paye et combien (vous n'osez poser la question mais vous contenterez de votre propre estimation) ? Qui me paye et pourquoi faire ? Vous cherchez à me connaître, prétendez-vous, vous avez besoin de me situer sur la carte sociale. En haut ? en bas ? A gauche à droite ? Ce n'est pas encore suffisant, vous voulez en savoir plus, les études, les diplômes, les grades, les récompenses, les responsabilités et les fonctions honorifiques. Vous voulez aussi ma photo. Vous me demandez ce que je suis pour estimer combien je pèse. Ma parole a-t-elle une valeur ? est-elle autorisée ? Vous voulez savoir si vous perdez votre temps à m'écouter, c'est que vous ne voulez pas vous faire avoir. Vous froncez le nez. Non, je préfère ne pas. Vous êtes parti voir ailleurs.