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Billet de blog 28 juillet 2017

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Les treize familles roms de Montreuil vivent depuis un an à la rue

Les treize familles roms de Montreuil commémorent aujourd'hui un triste anniversaire, celui de leur expulsion de leurs habitations de la Boissière. Un an à la rue, pour ces quarante personnes dont la moitié d'enfants qui ne demandent qu'une chose : vivre comme tout le monde.

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Mihai et son fils, Montreuil juillet 2017 © Gilles Walusinski

Le Roi dit : nous voulons, et Jupiter, je ne veux plus. Le président l'a proclamé hier, il ne veut plus "personne dans les rues ou dans les bois". Et il annonce la première bataille : "loger tout le monde dignement." Noble combat, à prendre très au sérieux. Promesse dont on se réjouirait que, pour une fois, elle n'engage pas seulement ceux qui veulent bien y croire. Osons lui proposer ce petit exercice d’entraînement : reloger treize familles qui vivent à la rue depuis un an, treize familles expulsées de leurs habitations de Montreuil le 28 juillet 2016. Facile. Treize familles égalent treize logements sociaux à trouver dans une ville de plus de cent mille habitants, qui construit à tour de bras. Ou dans les communes limitrophes. Il suffit de le vouloir, vraiment.

Mais la mairie de Montreuil ne le veut pas du tout. Depuis un an, le maire se drape dans un silence pesant comme une chape de plomb, plus lourd que le silence des morts du cimetière le long duquel les familles ont trouvé leur dernier refuge. Il ne dialogue pas, il ne répond pas aux lettres. Mais il envoie les flics.

Panique hier dès le matin. La police municipale vient leur annoncer qu'elle débarrassera la rue des voitures qui ne peuvent pas rouler, ces véhicules qui, depuis quatre mois, servent de maison aux familles roms, et qu'elle fera dégager les autres. Vite, il faut ranger les affaires, on ne sait ce qu'il adviendra dans la journée, où l'on dormira ce soir. La semaine dernière, c'était la préfecture qui s'était pointée, avec sa besace pleine d'OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Une procédure de contestation est en cours pour chacune de ces 16 OQTF délivrées à des européens qui vivent en France depuis si longtemps qu'ils ont perdu le souvenir de la date de leur arrivée. La mère de Manu, partie quelques jours en Roumanie, se lamente au téléphone : elle a hâte de retrouver son pays, « je ne comprends même plus quand les gens me parlent en roumain!» Le soir, les flics n'étaient pas revenus, on redoutait une expulsion pour le lendemain matin.

Alors, pour que ces femmes, ces enfants, ces hommes quittent enfin la rue Jean-Moulin qui n'est pas un lieu où mener dignement sa vie : des logements ou une énième brimade, une énième violence ? Et que l'on ne les renvoient pas aux hébergements d'urgence, ces nuitées d'hôtels très chichement proposées par un 115 débordé : quand une "solution" ne fonctionne pas, il faut changer de solution.

Les treize familles roms veulent vivre une vie normale. «Je ne veux plus rester dans la rue. Je veux être comme les autres gens, je veux travailler avec eux. Je veux travailler, pour être quelqu'un, pour que mon fils, quand il va grandir, n'ait pas la même vie que moi », dit Manu. Luminitsa s'inquiète pour la santé des enfants : «Il n'y a pas de propreté dans la rue, la récupération dans les poubelles, ça apporte des microbes et il n'y a pas de douche, il n'y a rien pour les enfants. La vie comme ça, ça ne va pas.» « On dort très mal dans le camion, affirme Daniel, les enfants ne peuvent plus aller à l'école depuis qu'on est à la rue, il n'y a pas de douche. Si on me propose un logement, je paierai ce qu'il faut : le gaz, l'eau, l'électricité. Si on nous propose un terrain, on paiera les caravanes. On ne peut plus rester comme ça.» Comme tous les jeunes de son âge, Ica, 18 ans, se projette dans l'avenir : « Je voudrais faire une formation professionnelle et apprendre à bien parler français. Je suis intéressé par les métiers du bâtiment : être peintre, savoir refaire les maisons, travailler sur les chantiers. Pour cela, je veux aller à l'école. Je veux rester en France, y vivre, et ne retourner en Roumanie que pour les vacances. » La Roumanie, pays aimé mais quitté à cause de la romaphobie, à cause de la pauvreté. « Nous avons deux enfants, explique Claudia, une fille de huit ans en Roumanie et un garçon en France. Notre fille habite chez sa grand-mère, mais cinq familles vivent dans cette petite maison : une quinzaine de personnes. En Roumanie il n'y a rien : pas d'habits, pas de chaussures, pas d'école, pas d'argent. Mon mari a son permis de conduire, il voudrait travailler comme chauffeur. Moi, je peux travailler : faire du nettoyage, m'occuper des personnes âgées. Vivre dans la rue, c'est trop difficile.» Quant à Viorica, elle attend son quatrième enfant et se demande ce qui va leur arriver : «Il fait froid la nuit dans la voiture. Je suis enceinte de huit mois et j'ai froid, j'ai mal au dos. C'est difficile aussi pour mes trois enfants. Je ne peux pas accoucher puis vivre dans la rue avec le bébé, il faudrait au moins un hébergement d'urgence à Montreuil. Je ne peux pas vivre en Roumanie. Il y a beaucoup de mortalité infantile et beaucoup de racisme. Je suis arrivée en France au début des années 2000 car c'est impossible de rester en Roumanie. »

Travailler, envoyer les enfants à l'école pour qu'ils s'instruisent et sortent de la pauvreté, avoir des conditions de vie correctes et une santé préservée, toutes ces demandes bien ordinaires ne dépendent que de ce premier facteur : le logement. Sans un logement stable, aucune avancée n'est possible. À chaque expulsion, les familles sont rejetées en arrière, comme dans un jeu de l'oie maudit où elles tomberaient éternellement sur la case retour au point de départ. Mais c'est de reconduites à la frontière dont l’État menace encore ces personnes qui vivent ici depuis tant d'années, ces enfants nés ici, qui grandissent dans les rues de Montreuil, dans l'indifférence de beaucoup, la haine de quelques uns, mais aussi avec le soutien de nombreux habitants qui ne supportent plus les politiques d'exclusion et de rejet que les élus prétendent mener en leur nom. Et qui écoutent Gianina, neuf ans, rêver tout haut : «Je voudrais une belle maison comme dans la Reine des neiges avec une télé, des poupées Barbie, et des sandalettes.»

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© Gilles Walusinski
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© Gilles Walusinski
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© Gilles Walusinski

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