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Billet de blog 28 octobre 2017

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Ici et maintenant

Il y a des périodes mauvaises dans l'histoire de ce pays, au cours desquelles une partie de la population est menacée et mise en danger de mort. Le péril ne vient pas de l'extérieur, ni d'une minorité d'excités, mais de l’État lui-même, par l'entremise du ministère de l'intérieur et de la police.

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Illustration 1
Salut à toi le Soudanais, Paris, porte de la Chapelle 2017 © Gilles Walusinski

Il y a des périodes mauvaises dans l'histoire de ce pays, au cours desquelles une partie de la population est menacée et mise en danger de mort. Le péril ne vient pas de l'extérieur, ni d'une minorité d'excités, mais de l’État lui-même, par l'entremise du ministère de l'intérieur et de la police. Nous vivons l'une de ces époques malades où l’État s'en prend violemment à des hommes, à des femmes, à des mineurs, parce qu'ils ont le tort d'être celles et ceux qu'ils sont : des étrangers.

Nous avons été élevés avec la mémoire intolérable de la collaboration de la police française dans la traque et la déportation des Juifs et des Tsiganes de France, que connut la génération de nos grands-parents. Nous avons grandi dans le souvenir douloureux des guerres de décolonisation, et du traitement infâme subi par les Algériens, sur la terre d'Algérie mais aussi en France : nous n'oublions pas les noyés, jetés dans la Seine par la police française, ces crimes commis pendant la jeunesse de nos parents. D'aucuns me rappelleront que l’État s'en est toujours pris à une partie de la population, aux classes laborieuses, aux voyageurs, aux habitants des banlieues, à tous ceux et celles que la bourgeoisie au pouvoir se donne les moyens légaux de contrôler et de mater, pour se protéger de leurs justes colère et revendications ou parce qu'elle ne vit pas comme elle, qu'elle n'a pas la bonne couleur de peau, qu'elle n'est pas propriétaire. La liste des victimes de la police s'allonge chaque année.

Mais aujourd'hui, c'est contre les réfugiés de passage dans ce pays ou venus y trouver un abri, que s'acharne particulièrement un État français incapable de faire face à l'arrivée des personnes migrantes autrement que par la répression brutale et par la criminalisation. Être étranger en France, quand on est un immigré et pas seulement en situation que l’État qualifie d'irrégulière, c'est être en danger. Les associations, les personnes solidaires, les migrants eux-mêmes, témoignent chaque jour des brimades subies, exercées par la police : eau de boisson salie, couvertures arrachées, tentes confisquées, distributions de repas interdites pour rendre la vie quotidienne impossible, et des violences : les coups s'abattent avec les gaz lacrymogènes. Ils disent les conditions terribles de détention dans les Centres de Rétention Administrative où sont enfermés aussi des enfants. Ils racontent l'abandon des familles, des adolescents isolés laissés à la rue. Ils témoignent de la violence des départs forcés pour des pays que les migrants ont fui parce qu'ils y sont en réel danger. Mais l'obtention d'un titre de séjour ne suffit pas à protéger les étrangers dont l’État veut à tout prix se débarrasser.

Menée par un ministre dont on peut se demander sans volonté d'outrage s'il a les capacités intellectuelles de conduire une politique autre que celle bête et méchante de la schlague, la police française est missionnée pour «éloigner», c'est-à-dire déporter hors de France, les migrants représentants une «menace à l'ordre public». On a tort de ne pas lire attentivement les circulaires émanant du ministère de l'intérieur, comme celle du 2 novembre 2016 par exemple, car on y apprend ce qu'est une «menace à l'ordre public», justifiant la «mesure d'éloignement avec interdiction de retour» de l'étranger ainsi criminalisé, le privant du même coup du «bénéfice du délai de départ volontaire.» On lira avec intérêt ceci : «La notion de « menace pour l'ordre public » ne se fonde pas exclusivement sur les troubles à l'ordre public déjà constatés, comme le ferait une sanction, mais constitue une mesure préventive, fondée sur la menace pour l'ordre public, c'est-à-dire sur une évaluation de la dangerosité de l'intéressé dans l'avenir.» C'est à l'aide d'une boule de cristal sans doute que cette évaluation est faite, ou bien sur le seul constat que l'individu est ce qu'il est : un étranger, une étrangère. Convaincue par la magie de l'arbitraire évaluation de représenter une menace pour l'ordre public, la personne concernée peut faire l'objet d'un «refus de titre de séjour», d'un «retrait de titre de séjour», d'une «abrogation d'un visa supérieur à trois mois», d'un placement en CRA et in fine d'une expulsion qui n'est autre qu'un bannissement, une déportation vers un pays où on ne veut savoir ce qu'il lui arrive. La France s'en lave les mains. «Situation irrégulière» ou «menace à l'ordre public» sont les deux bras légaux de la violence d’État contre les étrangers considérés comme indésirables par délit de sale gueule, de sale origine, de sale religion, de sale pauvreté.

Le président de la République, dont la légitimité repose sur le vote d'une minorité d'électeurs qui, pour la plupart, se sont exprimés contre le FN et non pour les idées qu'il représente, n'a pas besoin d'être poussé aux fesses par la peur d'être rattrapé par la montée des extrêmes-droites en Europe. Il poursuit, sans se forcer malgré ses beaux discours, la politique anti-migrants de son prédécesseur et la criminalisation des personnes solidaires. C'est, ici et maintenant, l'actualité de notre génération et de la jeunesse d'aujourd'hui. C'est notre responsabilité à tous.

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