Juliette Keating (avatar)

Juliette Keating

Abonné·e de Mediapart

1044 Billets

4 Éditions

Billet de blog 29 septembre 2015

Juliette Keating (avatar)

Juliette Keating

Abonné·e de Mediapart

Les évacués

Non, la langue n'est pas de bois. Car le bois bien dur fait la cabane solide, le toit étanche que viennent lécher la pluie et le vent. Un refuge de langue de bois, ce serait déjà quelque chose à quoi on pourrait tenir, un petit chez soi où accrocher des rideaux, ranger les jouets des enfants et Médor, surgi joyeusement de sa niche, accueillerait le visiteur d'une léchouille amicale.

Juliette Keating (avatar)

Juliette Keating

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Non, la langue n'est pas de bois. Car le bois bien dur fait la cabane solide, le toit étanche que viennent lécher la pluie et le vent. Un refuge de langue de bois, ce serait déjà quelque chose à quoi on pourrait tenir, un petit chez soi où accrocher des rideaux, ranger les jouets des enfants et Médor, surgi joyeusement de sa niche, accueillerait le visiteur d'une léchouille amicale. Mais non, la langue n'est pas de cette matière noble, chaude et compacte qui réconforte l'homme depuis le temps des cavernes. Elle est de la mauvaise étoffe dont on fait les mensonges.

La langue qui trompe jette les mots à la gueule du monde comme on lance une poignée de sable dans les yeux. Et la police du langage corrige le téléspectateur, cet éternel enfant. Les populations en exil, les gens qui ont traversé déserts et mers pour atteindre nos rivages, ne sont pas des migrants, nous apprend-t-on. Ce sont des réfugiés. Soit. Mais dans le nom de "réfugié", j'entends le mot refuge. Les trottoirs de nos villes sont-ils un asile ? Une tente sous un pont ou dans les bois ? Un squat fait-il un bon abri ? Pas du tout, répondent nos édiles qui, empreints d'un souci tout humanitaire d'hygiène et de sécurité, vident à grand renfort de flics des lieux de survie si précaires et si mal aimés des voisins proprios. On évacue, et la langue se délecte d'un nouveau mot.

Les évacués. Ce sont des réfugiés expulsés de leur refuge d'infortune. Les évacués portent le vide au cœur de ce nom que la langue des politiques et des médias leur donne, et auquel ils s'accrochent tant il vaut mieux le nom du vide en soi que de se laisser engloutir par le vide innommable. Les évacués ne sont pas des disparus. Ils ne se sont pas dissous dans l'eau qui s'évacue au creux des caniveaux. Ils ne se sont pas volatilisés dans les courants d'air qui soufflent sur les campement évacués. Vidés des refuges, vidés des journaux télévisés, vidés de la tête des citoyens, un moment compatissants mais que la répétition d'un même thème ne divertit plus. Les évacués le seront bientôt de leur vie. Certains tentent des grèves de la faim désespérées, dans l'indifférence de la langue qui se tait. Nul discours ne dira leur mort. Chut.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.