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Le Louvre, qui fut autrefois un musée, est aujourd'hui un établissement rentable. Au calme dans leur palais de stucs dorés, de plafonds peints, de parquets craquants qui fleuraient bon la cire et de lumière tamisée, les maîtres anciens se l'étaient trop longtemps coulé douce, se livrant avec réserve à la contemplation d'une poignée d'esthètes et, le dimanche, aux regards des bourgeois de bonne volonté. Quelques managers modernes profitèrent de la mégalomanie d'un des derniers présidents qui savaient lire pour mettre ces fainéants d'artistes, par le truchement de leurs œuvres, au service du bénéfice commercial. Fini l'assistanat. Pas question d'entretenir encore toute la sainte famille à perte. Plus de chichis élitiste : on envoya Saint Sébastien avec la Vierge faire le tapin sous la pyramide.
La réussite est éclatante : près de neuf millions de clients se pressent chaque année dans les travées de ce centre commercial vintage aux allures de parc de loisirs. Les cinq continents défilent, un peu essoufflés, sous la victoire de Samothrace et suivent l'itinéraire balisé qui les mènera sans s'égarer jusqu'à la Joconde. On se presse dans la grande galerie des peintures italiennes comme dans la rue de Rivoli un samedi de soldes puis, épuisé par la longueur des couloirs et des escaliers, on fait une halte pour se désaltérer à l'ombre du grand Carrache. On en profite pour bavarder à l'aise, mettre à jour son profil Facebook, jouer une ou deux parties de Mario ou lire le dernier chapitre d'un polar palpitant. Et l'on reprend bravement le parcours, en suivant bien les flèches et les étapes obligées. L'épreuve la plus difficile consiste à étendre le bras assez long pour photographier plein cadre le gigantesque couronnement de Napoléon sans se faire écraser les pieds. Un jeune garçon s'arrête, médusé, devant les rondeurs éthériques d'une nymphe accrochée haut mais on l'appelle, andiamo, andiamo, il reste tant à faire. Pas le temps de lambiner : pour quinze euros l'entrée plein pot, il ne faut pas rater Michel Ange. La dame déplie la carte et s'interroge : elle voudrait un selfie devant l'Esclave mourant ; si elle ne le trouve pas, elle se rattrapera dans le métro. Deux pépés sourient devant la Ménine, un homme à chapeau observe longuement un Greco qui, miracle, n'intéresse que lui. Un bébé couine dans sa poussette ; pour l'occuper Maman lui glisse une tablette et roule, roule pour rattraper les autres, en slalomant entre les petits groupes agglutinés devant les must-see. On s'écarte : une cohorte passe, le nez en l'air mais à grandes enjambées, menée par un éclaireur brandissant en étendard une fleur artificielle piquée à la pointe d'un bâton de ski. Encore trois kilomètres pour se faire peur avec la momie et on aura bien mérité la récompense d'un cadeau dans les magasins du Carrousel. Demain, on fera Orsay où il paraît qu'aucune tenue n'est exigée.
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