Bernard Arnault a donné 10 millions d’euros aux restos du cœur. A moins d’avoir passé les derniers jours dans une grotte sans aucune connexion avec le monde extérieur, l’info ne vous a pas échappé.
Partout sur les plateaux, la même question : doit-on dire merci à Bernard Arnault ?
10 millions, bien sûr, la somme a de quoi retenir l’attention. Donner autant, il est formidable ce Bernard ! Et si vous osez avancer que rapporté à sa fortune, c’est peanuts, on vous traite de mauvais coucheur, on vous demande si vous préféreriez qu’il n’ait rien donné…
Non, on ne préférerait pas. Mais je pense à tous les gens qui, c’est certain, en entendant l’appel à l’aide de Patrice Douret, le président des restos, ont sorti leur chéquier et envoyé 20 euros, 50 euros, 100 euros. Des gens pour qui, au regard de leur patrimoine et de leurs revenus, le don représente bien plus que celui du patron de LVMH. Eux n’ont pas droit à des séquences en prime time sur BFM. Ni aux remerciements de la toute nouvelle ministre des Solidarités.
Si j’étais dirigeante d’un pays ou d’un côté la précarité alimentaire augmente tant que les associations ne peuvent plus gérer, et de l’autre un seul homme peut sortir 10 millions de sa poche, je ne fanfaronnerais pas. Mais peut-on vraiment être surpris lorsqu’on sait qu’il y a quelques semaines la première ministre annonçait dans une même allocution qu’il n’était pas question d’augmenter les taxes sur l’alcool mais que, pour ce qui était des franchises médicales, une réflexion était en cours…
Aurore Bergé, elle, ne s’encombre pas de scrupules. Et j’avoue, je suis un peu jalouse. Un coup de com pareil, banco ! Bravo Aurore, on te savait prête à toutes les perfidies (n’oublions jamais que cette femme avait utilisé l’horrible drame d’Annecy pour piétiner les débats sur l’abrogation de la réforme des retraites qui avaient lieu dans l’hémicycle) mais là c’est du grand art. En moins de 24h, on a transformé la véritable info : de plus en plus de gens ne mangent pas à leur faim en France - en cirque médiatique autour de la figure de Bernard Arnault, l’homme qu’on adore détester.
S’il y a un domaine dans lequel ce gouvernement excelle, c’est bien celui du détournement d’attention. On y a droit à chaque rentrée scolaire. Après les allocs pour payer les écrans plats, voici venu le scandale de l’Abaya. Je ne vais pas ici détailler toutes les raisons pour lesquelles cette polémique est à la fois ridicule et dangereuse, d’autres l’ont fait bien mieux que moi, ici ou là … mais n’empêche, il va bien falloir qu’on remette les vrais sujets sur la table. Les vrais scandales.
Ca pourrait commencer par une remise en question des médias qui mettent en scène l’info plutôt que de la traiter. Même l’AFP s’y met, à coups de titres accrocheurs et de multiplication de dépêches sur les sujets annexes qu’on voudrait nous imposer comme étant LES enjeux essentiels du moment. Si Drahi et Bolloré voulaient bien mettre un coup d’arrêt à la fast-infoisation qui gangrène leurs antennes, on pourrait peut être recommencer à parler de choses sérieuses.
Dites, Monsieur Arnault, vous ne voulez pas leur proposer ça, à vos potes milliardaires ? Revenir à l’essentiel, à l’important, aux débats utiles plutôt que futiles.
Promis, Bernard, je vous dirai merci.