L'attentat
Le 20 décembre 2024, aux alentours de 19h, une voiture noire a foncé dans la foule venue se promener au marché de noël de Magdebourg, en Allemagne.
Cinq personnes ont été tuées, et plus de 200 blessées.
Rapidement, les premières informations sur le suspect étaient révélées : il s’agissait d’un homme de cinquante ans. Un Saoudien. Cette information était confirmée par l’AFP peu après 22h. Jordan Bardella avait déjà tweeté : « Condoléances aux proches des victimes, au peuple allemand, après l’attentat islamiste qui a frappé le marché de Noël de Magdebourg. La cible de l’attaque ne doit rien au hasard : l’islam radical mène une guerre à nos traditions chrétiennes, à nos identités, à notre civilisation. »
Dans la nuit, les médias allemands faisaient état de possibles liens entre le suspect et l’extrême droite allemande.
Il n’est pas surprenant que, face à un tel drame, la question d’un attentat islamiste se pose. En 2016, le marché de Noël de Berlin avait été la cible d’une attaque revendiquée par Daesh ayant fait treize morts, pour ne citer que ce seul exemple. Mais cette précipitation à pointer un coupable, l’Islam - forcément radical, forcément terroriste, forcément ennemi – alors même que le ressort de ce passage à l’acte semble puiser ses racines dans une pensée conspirationniste, islamophobe et ultra conservatrice, est révélatrice d’une imagerie de plus en plus prégnante dans notre pays.
D’un côté le musulman, coupable idéal, fauteur de trouble officiel, source de tous les maux. De l’autre l’extrême droite, fraîchement normalisée, tirée à quatre épingles et joliment cravatée, garante d’une France bien rangée, bien coiffée, rasée de près, en ordre.
Groupuscules d'ultra-droite et extrême droite politique : les deux faces d'une même pièce
La résurgence des groupes d’ultra-droite et néonazis devrait tous nous alerter. Les procès s’enchaînent et les dissolutions de groupuscules annoncées en fanfare par les gouvernements successifs n’y font rien : ils se reforment et ne s’en cachent même pas, privatisent des rues, des quartiers comme à Marseille ou à Lyon. Ils planifient des attentats, s’équipent en armes, s’entraînent. Ils pullulent sur les réseaux sociaux et organisent des « raids » pour dézinguer des films ou faire annuler des spectacles. Vouloir dissocier ces groupes et militants des partis « en place » est un leurre.
Le documentaire « White Power, au cœur de l’extrême droite européenne », de Christophe Cotteret, démontre parfaitement l’existence des liens étroits entre groupes d’ultra droite et extrême droite politique.
Petit à petit, la vague brune infuse, elle se distille dans nos urnes, sur nos réseaux, dans nos médias, et parfois même, à nos dépens, dans nos esprits.
Ce qui doit nous inquiéter, ce n’est pas tant la banalisation des partis d’extrême droite que la normalisation de leur pensée. Il y a indéniablement un point de bascule qui s’opère en 2015. L’atrocité des attentats subis cette année-là, d’abord Charlie en janvier puis le massacre du 13 novembre, provoque un choc dont l’onde se ressent encore aujourd’hui. Alors qu’après le deuil une partie de la population tente de surmonter le traumatisme en brandissant en étendard un mode de vie à préserver fait de verres en terrasses, de sorties concerts, d’échanges et de brassage des cultures, ce sont bien d’autres ressorts qui sont actionnés dans la foulée des attentats de novembre.
Commence la course à la sécurité. Si la réponse sécuritaire immédiate semble compréhensible dans une société réellement apeurée (le simple éclatement d’une ampoule dans un bar du Marais suffira à provoquer un mouvement de panique), le gouvernement, pourtant déclaré « de gauche », redoublera de zèle : mise en place d’un État d’urgence visant à être pérennisé, instauration de la déchéance de nationalité.
Parallèlement, une partie de la gauche intellectuelle se fourvoie dans un républicanisme nouvelle formule en redéfinissant les contours de la laïcité, devenue bras de fer avec la religion. « La », pas « les ». Puisque c’est bien une religion qui est visée, l’islam. On demande aux musulmans de se désolidariser, en les assimilant d’office à des terroristes potentiels. On traque les « signaux faibles ». On confond lutte contre le terrorisme et croisade des temps modernes. On parle d’ennemi de l’intérieur et au nom des lumières, on cherche à imposer une doxa occidentale bien ancrée dans ses racines judéo-chrétiennes comme unique « way of life » autorisé.
Une grande confusion
2015 fracture le pays. Les actes racistes se multiplient. Et les risques d’attentats terroristes par l’extrême droite entament une progression qui ne cessera plus. En 2019, l’attaque d’une mosquée jettera des milliers de personnes dans la rue en protestation ; un sursaut qui aurait dû fédérer l’ensemble du camp dit humaniste et progressiste. Malheureusement, le ver est déjà dans le fruit, et ceux qui ont choisi de défiler ce jour-là se voient poussés hors du champ républicain par une sphère réactionnaire de plus en plus vaste.
L’ennemi est qualifié d’ « islamo-gauchiste » et englobe désormais toute personne ouvertement engagée dans les luttes intersectionnelles. Le gouvernement se lance dans sa traque idéologique à l’université. La pensée d’extrême droite se distille à vive allure. La mithridatisation de la société fait son œuvre.
Et puis est arrivé le 7 octobre 2023. D’abord, un séisme pour les juifs. Attaquer Israël était perçu comme attaquer chacun d’entre eux ; jamais un attentat aussi lointain géographiquement n’avait marqué à ce point une large part de nos concitoyens. Le 7 octobre ou le réveil de traumatismes douloureux, de peurs légitimes. Un traumatisme dans lequel s’engouffre le gouvernement israélien pour légitimer la poursuite de sa destruction méthodique du peuple palestinien et l’accaparement de ses terres. Le 7 octobre est désigné « pogrom » et toute personne qui en contesterait le terme est renvoyée au statut d’antisémite. En France, les progressistes autoproclamés apportent leur soutien inconditionnel à un gouvernement d’extrême droite qui n’a pourtant jamais nié ses intentions de poursuivre une colonisation illégale et qui a, quelques années plus tôt adopté une « loi de l’État Nation » qui crée une hiérarchie entre les citoyens en ne reconnaissant le droit à l’autodétermination qu’aux seuls juifs. Un gouvernement qui n’a pas manqué de faire tirer sur les manifestants pacifistes qui réclamaient la levée du blocus illégal de Gaza, lors des « marches du retour » de 2018. Un gouvernement qui a délibérément joué le jeu du Hamas pour déstabiliser et affaiblir l’autorité palestinienne. L’appui sans condition à ce gouvernement dont les premières déclarations ne laissaient aucun doute sur le fait qu’il favoriserait l’envie de vengeance plutôt que la vie des otages a été du pain béni pour l’extrême droite française, qui s’est immédiatement érigée en soutien zélé d’Israël. Un tour de passe-passe permis par ceux qui, dans un renversement de valeurs effrayant, déploient leur énergie à s’acharner contre les défenseurs du peuple palestinien.
Nous voici dans une France où dénoncer le colonialisme, l’apartheid et la volonté génocidaire revient à faire l’apologie du terrorisme. La propagande de l’extrême droite israélienne est relayée sans précaution, y compris, et c’est le pire, par des personnes de bonne foi.
Cette grande confusion qui règne nous impose de nous réveiller.
L'heure du sursaut
En 2002, nous étions une foule compacte et résistante unie dans les rues pour dire « NON » au FN et renvoyer Jean-Marie Le Pen à Montretout. Je participais à des réunions animées par Laure Adler et Jérôme Clément, alors patron de France 5, avec des gens qui, comme moi, gravitaient dans le monde de la culture ou des médias, lors desquelles nous tentions d’imaginer collectivement les actions à entreprendre pour que plus jamais l’extrême droite ne se retrouve au second tour d’une élection présidentielle. Vingt-deux ans ont passé, Valeurs Actuelles a son rond de serviette sur les plateaux de BFM, Bolloré assume une ligne éditoriale raciste et réactionnaire sur les antennes qu’il possède, Macron qui prétendait que notre vote de barrage « l’obligeait » pousse ses gouvernements successifs à négocier leur survie auprès du Rassemblement national. C’est à qui flattera le mieux Marine.
La campagne éclair qui a suivi la dissolution a été le terrain d’une explosion d’actes et de paroles racistes, qui ne laissaient aucun doute sur l’issue des élections : quel qu’en soit le résultat, l’extrême droite avait déjà gagné la partie. Mais elle a été aussi l’occasion de voir qu’il existait de formidables forces vives, résistantes, déterminées à ne pas laisser ce nouvel obscurantisme l’emporter.
Alors qu’à la tête de l’État on nie la victoire du Nouveau Front Populaire, que prolifèrent les ministres les plus réactionnaires, il appartient à ces forces vives de ne pas se laisser engourdir par la résignation, intimider par les attaques et les insultes, et de bousculer l’ordre nouvellement établi pour ne pas laisser s’installer un climat qui prend des allures de néo-fascisme.
Ce n’est pas le moment de chausser nos pantoufles. Le temps n’est plus au raisonnable. Il est à la lutte, à la vigilance, à l’implacable bataille pour défendre les seules valeurs qui doivent nous unir : la liberté, l’égalité, la fraternité. Et faire taire le bruit sourd des corbeaux.
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