A l’origine de « Women Talking » il y a déjà des femmes qui se parlent. Le film qui s’apparente à une fable hors du temps et d’un espace ancré dans le réel est inspiré d’un roman de Miriam Toews. L’autrice canadienne se base sur des faits réels survenus dans une communauté chrétienne fondamentaliste en Bolivie.

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Alors que la réalisatrice Sarah Polley avait mis de côté sa carrière de cinéaste pour s'occuper de ses enfants - les journées extensibles sur les tournages ne lui permettaient plus de concilier vie de famille et vie professionnelle - c'est l'actrice et productrice du film Frances Mc Dormand qui est venue frapper à sa porte. L’actrice oscarisée de « Nomadland » voulait que Polley réalise ce film. La cinéaste a accepté à la condition que les mêmes règles s'appliquent pour toute l'équipe du film : que chacun puisse répondre aux exigences de sa vie personnelle sans que cela n’entrave sa journée de travail. Fini les journées de 16h sur un plateau. Le film ne se contente pas de porter un message, il se l’applique en premier lieu.
Les traumas sont relayés dans des flashs : du sang sur les draps blancs, des bleus à l'intérieur des cuisses, un cri strident, des pleurs et la fuite d’un homme. Des violences ritualisées contre lesquelles les femmes vont finalement se soulever. "Une fois libérées, nous devrons nous demander qui nous sommes." Dans cette colonie religieuse recluse, les femmes s'apprêtent à détruire le monde qu'elles ont toujours connu pour en créer un nouveau et lutter contre leurs agresseurs.

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Le film de Sarah Polley se dessine sur des binarités qui alimentent le débat entre les femmes. Rester ou s’enfuir ? Ne rien faire ou résister ? Pardonner ou se venger ? Craindre ou défier ? Persuader ou convaincre ? Les exemples viennent étayer les arguments, les vécus de chacune tracent un paysage de réalité nuancée. Salomé ne parvient pas à contenir sa fureur, sa jeune fille vient de se faire violer. Mariche apparaît résignée et amère face au destin funeste promis aux siennes. Ona est enceinte d'un de ses agresseurs, porter la vie semble lui conférer sagesse et aura philosophique.
Des femmes privées d'éducation, qui à défaut de savoir lire et écrire ont tout investi dans le travail domestique et éducatif. Mais aussi dans l’intelligence sociale et émotionnelle. La joute verbale est chorégraphiée au millimètre, chacune a des points à soulever avec plus ou moins de fureur et de sagesse.
Les questions qui s’imposent ont une portée morale aussi bien que pratique. Si vous restez, comment élevez-vous vos fils ? A partir de quel âge les garçons sont-ils innocents ? Peut-on pardonner ? Ces questions sont urgentes et récurrentes, elles rongent. La parole dévaste autant qu’elle libère. Parabole des cercles de parole, le film a une portée thérapeutique autant que politique.
Des femmes, personnages principaux, qui parlent entre elles, d’autre chose que d’un homme. Les trois critères du test de Bechdel, du nom de l’autrice de BD américaine qui l’a lancé, sont censés définir le propos féministe d’un film. « Women talking » remplit haut la main les deux premiers critères. Les femmes parlent entre elles et un pouvoir en émane. Mais les hommes, s’ils sont absents, pèsent comme une lourde menace omniprésente sur les discussions. Seule la présence de l’enseignant, qui retranscrit les débats et intervient timidement, brise avec douceur la réunion en non-mixité.

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L’esthétique, le propos hors du temps et de l’espace et cette narration par une voix off solennelle confère au récit l’aura d’une légende. Il est pourtant basé sur une véritable série de viols en Bolivie par au moins huit hommes, d'au moins 150 femmes et filles rendues inconscientes par l’administration de substances destinées au bétail, de 2005 à 2009. C’est un récit qui, comme souvent, part de l’intime pour toucher à l’universel. Une fable des femmes qui se soulèvent, la suite reste à dessiner.
Hasard du calendrier et de la production cinématographique actuelle, « La Conférence » qui sortira fin avril porte des ressemblances troublantes avec « Women Talking » dans sa forme. Un huis clos où l’avenir d’une communauté doit se décider. Une assemblée non mixte avec pour seule exception la présence d’un.e scribe qui n’a cependant, pas voix au chapitre. Sauf que dans « la Conférence » le lieu et le contexte sont ancrés dans l'Histoire. Juillet 1942 au bord du Lac de Wannsee. Il s’agit pour les 15 dignitaires nazis d’organiser la solution finale. Alors que dans « Women talking » les femmes entendent se libérer de la violence patriarcale, dans « La Conférence » des hommes organisent l’extermination plus efficace de millions de juifs. La promesse d’une utopie et l’un des chapitres les plus obscurs de notre histoire. Dans le premier l’homme est le seul à pouvoir consigner les débats des femmes, le seul à avoir accédé à une éducation. Dans le second la femme sert de subalterne exécutante et sténographe.

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« Women talking » sort le 8 mars en France, journée internationale des femmes. Alors qu’elles se soulèvent un peu partout dans le monde, et viennent battre le pavé pour défendre leurs droits. Le film de Sarah Polley souligne la force de cette parole. Les femmes sont fortes quand elles se parlent et qu’elles font parler d’elles. #Metoo avait ouvert la parole, Sarah Polley et Frances MC Dormand la font résonner, appelant les femmes opprimées à faire leurs choix. Le film est nommé aux Oscars dans la catégorie meilleure adaptation et meilleur film.