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Billet de blog 10 juin 2024

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La démocratie en trompe-l'oeil : la Macronie comme lisier de l’extrême droite

Sous couvert de redonner la voix au peuple, c’est un déni de démocratie que le président français organise. Sur fond de précipitation électorale, de concentration des médias et de politique libérale, l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite paraît inexorable. Sauf si la gauche parvient à faire de cette menace un ciment mobilisateur.

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La journée du 9 juin 2024 a été marquée par un séisme politique majeur. Emmanuel Macron vampirise le scrutin des européennes en en faisant un enjeu de politique nationale. Prétendant un geste démocratique, c’est exactement l’inverse qu’il produit.

Prenant acte de la défaite cuisante de la majorité, le président français semble prendre tout le monde de court en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale. Sauf peut-être le Rassemblement National, qui l’avait appelée de ses vœux. Même dans les rangs de la Macronie, un désaveu se fait sentir. Pour la présidente de l’Assemblée Nationale, Yael Braun-Pivet, « un autre chemin » était possible, et plusieurs députés Renaissance ont annoncé ne pas vouloir se représenter sous la bannière présidentielle.

Le compte à rebours est lancé. Vingt jours avant le scrutin, « cela laisse à peine une semaine pour présenter des candidats dans chaque circonscription, deux semaines pour faire campagne » dénonce Julia Cagé sur France Inter. Le temps pour s’accorder sur un programme commun à gauche : aucun.

Alors que deux possibilités d’alliances semblent se dessiner, François Ruffin entend porter celle d'un "Front Populaire", d’autres privilégient une alliance NUPES. L’enjeu résonne étrangement avec les années 1930 : à l’époque déjà à droite le slogan « Plutôt Hitler que le Front Populaire » organisait la disqualification de la gauche. Hier comme aujourd’hui le patronat craint moins le RN qu’une alliance de gauche qui viendrait entraver son action par des taxations.

Le défi est de taille pour les forces de gauche : Comment repartir unies au sortir d’une campagne où il s’agissait justement de tirer son épingle du jeu et de singulariser chacune des candidatures ? Avec quel programme et quelle tête de liste ? Quel résultat électoral privilégier entre les dernières législatives et les européennes fraîchement dépouillées (de leur vote et de leur sens) ?

Parachèvement de l’entreprise de normalisation politique

Après avoir appelé de ses vœux le front républicain, réclamé le soutien de l’électorat de gauche au deuxième tour des présidentielles 2022, pour « faire rempart » à l’extrême droite, le parti présidentiel et son chef de file n’ont cessé de normaliser la parole du camp lepeniste.

En niant la colère de la rue face à la réforme des retraites de 2023, en passant en force avec le 49-3, en faisant de l’abaya un thème de la rentrée scolaire, en votant avec l’extrême droite la loi immigration et la loi sur l’audiovisuel français. Mais aussi en affirmant que le RN faisait partie de l’arc républicain contrairement à LFI, en interdisant les manifestations pro-palestiniennes en octobre dernier, en poursuivant l’opposition de gauche taxée d’antisémitisme : le pouvoir exécutif a renforcé la xénophobie d’État et organisé le terreau politique d’une accession du RN au pouvoir.

La défiance vis-à-vis des institutions s’articule à plusieurs niveaux : le manque de représentativité, la répression lourde face aux mouvements sociaux, la sourde oreille et les passages en force sans oublier l’absence de séparation des pouvoirs qu’illustre cruellement la juridiction exceptionnelle de la « Cour de justice de la République ». Elle a récemment relaxé le Garde des Sceaux, faute d’éléments matériels et est régulièrement contestée pour sa complaisance à l’égard des ministres, ses juges sont eux-mêmes nommés par l'exécutif. Tout cela alimente le discrédit face au vote et aux institutions, et profite au RN qui se présente habilement comme le parti anti-élite.

Normalisation médiatique : la fabrique de l’info nationaliste

Le bras armé du glissement politique sur des thématiques identitaires se joue depuis plusieurs années sur le terrain médiatique. La concentration des médias et leur accointance avec des forces politiques d’extrême droite ont profondément modifié le paysage médiatique français. La fabrique de l’info identitaire suit une mécanique bien huilée, entre le JDD repris par Geoffroy Lejeune, Europe 1 et CNEWS : le moindre coup de couteau, voile observé à l’entrée d’une école est instrumentalisé. Les ministres du gouvernement se prêtent au jeu et viennent répondre aux questions sécuritaires et immigration qui saturent l’espace médiatique. La séquence de la commission parlementaire sur la concentration des médias en 2021, dans laquelle la langue de Vincent Bolloré fourchait, est à ce titre édifiante : il évoquait alors le « président » Zemmour, qui n’était bien sûr que candidat, omniprésent dans les médias du groupe.

Ces accointances politico-médiatiques et ce traitement de l’information à la Fox News rappellent les États-Unis de Trump, ou encore l’Italie de Berlusconi : lorsque de grands médias cessent d’être un contre-pouvoir et deviennent le théâtre d’incitation à la haine raciale, polluant tout le paysage médiatique, cette propagation de faits divers instrumentalisés agit comme une traînée de poudre et prépare l’accès au pouvoir de l’extrême droite en installant ses thématiques.

Depuis plusieurs années, les libéraux ont sciemment choisi leur opposant politique et signé ainsi le glissement de l’opinion vers les instincts identitaires. Par les cadeaux fiscaux et le détricotage des services publics, par la financiarisation des médias, par l’incorporation de la préférence nationale et la justification des violences policières, le libéralisme autoritaire a installé la marée brune dans la société avant qu’elle ne s’imprime dans les urnes. Dans ce dernier acte narcissique, le président français confisque les enjeux européens et signe le déluge nationaliste à venir. L’horizon s’est simplement rapproché de trois ans.

Alors que l’urgence devant la menace climatique devrait concentrer tous les efforts politiques, elle est aujourd’hui supplantée par la menace fasciste avec son lot de xénophobie, repli identitaire et de masculinisme. Espérons que l’enjeu devant ce double ultimatum écologique et identitaire ravive l’impérieuse nécessité d’une alliance à gauche autour de ce qui résume finalement son nœud idéologique : la justice sociale.

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