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Billet de blog 16 mai 2025

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« Dossier 137 » de Dominik Moll - Les individus impactés

Avec « Dossier 137 », Dominik Moll poursuit son exploration du monde policier, après « La Nuit du 12 ». Cette fois, il braque sa caméra sur l’IGPN, la redoutée « police des polices », figure ambivalente et souvent haïe. En s’inspirant du réel, il signe un portrait nuancé, qui interroge les failles d’un système profondément polarisé.

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Dans La Nuit du 12, Dominik Moll s’intéressait aux hommes qui enquêtent sur d’autres hommes qui tuent des femmes. Il y dépeignait une masculinité figée, étouffée, incapable de comprendre la violence qu’elle engendre. Avec son nouveau film, Dossier 137, le réalisateur reste dans le registre de l'institution policière, mais déplace son regard vers une autre figure ambivalente : les agents de l’IGPN, autrement dit « la police des polices ».

Détestés de toutes parts — jugés partiaux par les uns, traîtres par les autres — ces policiers incarnent une contradiction. Représentants d’un système censé contrôler lui-même ses abus, ils sont la bête noire de leurs collègues et l'objet de méfiance des civils et des médias, notamment ceux qui dénoncent les violences policières. C’est ce paradoxe que Dominik Moll tente d’explorer, dans un film qui cherche à nuancer.

Pour ancrer son récit dans le réel, le réalisateur a obtenu l’autorisation rare de suivre le travail de l’IGPN. Il y a observé des enquêtes rigoureuses, menées avec sérieux, loin des fantasmes d'enquêtes baclées. C’est cette image nuancée, inattendue, que le film tente de restituer : un travail fastidieux, parfois sincère, souvent tiraillé entre loyauté et justice.

Illustration 1
Léa Drucker © © Fanny de Gouville

Le film met en lumière le soubassement idéologique véhiculé par un langage guerrier omniprésent : « individus impactés », « sauver la République », « effort de guerre ». On y voit notamment des agents de la BRI, habitués à lutter contre le grand banditisme, réaffectés au maintien de l’ordre dans les manifestations. Face à des gilets jaunes inoffensifs les "héros" du Bataclan, surentrainés et gonflés à l'adrénaline du conflit abusent de leur pouvoir, et de ce fameux monopole de la violence légitime. Là aussi Dominik Moll s'est appuyé sur plusieurs faits réels pour construire son personnage de Guillaume blessé à la tête. Il s'inspire de trois victimes de la violence policière.

Dominik Moll tente de nous extraire de cette logique guerrière, alimentée par les discours gouvernementaux. Il filme avec une certaine empathie des personnages souvent décriés. Mais cette empathie ne sert jamais à justifier la violence. Le retour de l’enquêtrice Lea Drucker, qui cherche à faire amende honorable auprès de la mère de la victime et à montrer le sérieux de son travail, incarne ce dilemme : malgré leurs efforts, l'agente comme le film ne parviennent pas à apaiser le sentiment d’injustice. Le film humanise, il explique, mais ne pardonne pas.

Ce que le film révèle surtout, c’est le vertige provoqué par l’absence systématique de condamnations dans les affaires de violences policières. Peut-être faut-il y voir un horizon utopique : celui d’une société qui sortirait du tout-répressif, de la criminalisation permanente. L’attitude empathique des agents de l’IGPN envers leurs collègues pourrait devenir un modèle de société unitaire, de justice basé sur le social plutôt que sur l'ostracisme.

Mais tant que l'ONU dénonce un usage disproportionné de la force par la police française face aux gilets jaunes, tant que les nasses, les tirs de LBD, gaz lacrymo et grenades de désencerclement étouffent les rassemblements, sans qu'aucune responsabilité policière ne soit reconnue, aucune réconciliation n'apparaît envisageable. Dans un contexte où les inégalités de traitement devant la justice sont omniprésentes, où le climat sécuritaire étouffe les dominées et prolongent les inégalités, c’est finalement la voix d’une femme de ménage dans un hôtel de luxe, témoin de l'agression qui résonne avec le plus de justesse. "Rien ne change."  Les Noirs, les Arabes, les classes populaires, ce sont toujours les mêmes corps dominés qui sont criminalisés et violentés. 

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