C’est une rave party qui se déroule quelque part dans le sud du Maroc, dans le désert. Au milieu de cette transe qui rappelle la scène d’ouverture de Climax de Gaspar Noé — une danse infernale, prémisse de la chute — les humains, trop humains, sont indissociables, des corps agités d’angoisses et de joies, qui forment un cœur battant. Le son les irrigue comme le sang un organe vital.
Au milieu de cette foule, deux intrus tentent de se frayer un chemin : Lluis, campé par Sergio López, et son fils Esteban. Ils sont à la recherche de leur fille et sœur, disparue dans une autre de ces raves, cinq mois auparavant. Dans un enchaînement d’événements inattendus, ils vont poursuivre leur quête avec une petite équipe de teufeurs. L'enquète prend des airs de fuite à la Mad Max : à toute allure dans le désert, les camions tracent.
Avec le temps, les marginaux acolytes de voyage apparaissent moins hostiles, et entre Sergio López, son fils et eux, se tissent des liens d’entraide pour trouver de l’essence et des vivres. En toile de fond, la radio parle d’une Troisième Guerre mondiale. Mais comme le disent certains personnages : « Ça fait longtemps que c’est la fin du monde. »

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Ce film énigmatique, mélange de genres — western, road-movie qui tend vers l’horreur — ne cesse de nous surprendre. Le récit initiatique laisse place à un conte philosophique tragique, émaillé de plans magnifiques. Cette beauté rude du désert tranche avec l’impitoyable destin qu’il réserve aux personnages. À mesure que l’on avance dans le terrain miné de l’intrigue, la terre rime avec enfer et se fait personnage principal : c’est elle qui dicte le rythme et la densité de la poussière.
C’est un lieu commun : ce qu’on ne connaît pas, ce qu’on ne sait pas écouter ou observer, on n’en perçoit plus les contours, les reliefs. Comme le dit Lluis à Jade lors d’une confession nocturne : pour lui, c’est toujours le même « boom boom », cette ligne de basse entêtante. Dans le désert, le jeu des sept différences, c’est comme chercher sa fille dans une foule : une aiguille dans une botte de foin. Peut-être qu’à force de ne pas savoir regarder le monde, les détails de ses lignes, nos contours à leur tour s'évanouissent. Cela expliquerait aussi le fait qu'on ne s'attache pas vraiment aux personnages, eux aussi ne seraient que des mirages dans le désert.
Sirat, dans l’islam, cela veut dire le pont entre le paradis et l’enfer. C’est une clé de compréhension que nous livre le premier panneau du film. Chacun pourra y projeter ses angoisses contemporaines : fuir ou continuer, s’entêter ou renoncer, lutter ou se divertir, maintenir les liens ou chercher ailleurs une famille qu’on se recrée.
Au-dessus du film plane une aura spirituelle, sans qu’une morale s’impose clairement. Chaque fois que s'exprime le besoin de trouver un chemin, de réordonner le chaos, le sens se retrouve à nouveau pulvérisé. Le film n’en finit pas de bifurquer et nous plonge, nous aussi, dans un instinct de survie.