Métaphore du ballet qui met les corps sous pression, « Tanz » contraint les corps et le regard intrusif des spectateurs. Les corps ne sont pas libres. Les regards non plus. Mais libre à vous de quitter la salle, La Villette a pris soin d’entourer la représentation de « trigger warning » et précise qu'un personnel est présent pour accueillir les spectateurs échaudés.
Chorégraphie des corps et des esprits
On soupçonnerait presque Florentina Holzinger d’avoir elle-même chorégraphié le départ des spectateurs. Ils sont de plus en plus nombreux à quitter la tribune, à mesure qu’avec le spectacle l’intensité du voyeurisme et la violence avance. Dans une sorte de pacte faustien, maquillé en arnaque, l’enfant terrible de Vienne rend le spectateur complice de cette violence, puisqu’il s’habitue à elle, l’intégrant comme une normalité du dispositif.

Agrandissement : Illustration 1

Puissance vulnérable
Florentina Holzinger réalise le rêve des ballerines : quitter la terre ferme pour atteindre les cieux. Mais ce rêve de légèreté ultime tranche dans la chair et arrache les cheveux. Un ballet hypnotique entre des motos volantes et des danseuses cascadeuses sert le tableau le plus esthétique du spectacle en même temps qu’il évoque les accidents de la route. Les corps sont sublimés dans toute leur puissance vulnérable.
Rendre visible l’invisible
Plutôt que de cacher les pieds ensanglantés des ballerines comme dans les ballets classiques type « le Lac des cygnes », le sang se répand partout sur scène. Florentina Holzinger est dans une démarche d’honnêteté, rien ne sera épargné aux spectateurs. Elle veut rendre visible l’invisible, mettre les danseuses à nu, et tendre ainsi au spectateur le miroir de ses bas instincts, de sa fascination pour le mal et l’abjection. Sa pudeur hypocrite rencontre un voyeurisme naissant.
Violence sensuelle
Or, l’emprise et la violence qui contraignent les corps s’incarnent ici dans une certaine sensualité. La viennoise s’inscrit distinctement dans un héritages des écrits féministes lesbiens. On se croirait souvent dans un texte de Monique Wittig. Les corps éructent de toutes leurs substances, sang, rivière de larmes, urine, cyprine de l’orgasme féminin voire même un rat accouché dans la douleur. Holzinger écarte les jambes de l’intimité, dans une sensualité crasse malaisante.
Réappropriation de codes populaires virilistes
Les figures de la sorcière, ou de la louve viennent parfaire le tableau féministe. Le balai qui nettoie le sang décrédibilise son noble homonyme. A l’humour et au féminisme s’enchevêtrent des codes populaires du Westerns, cigarette au bec, lettres ensanglantées des films d’horreur, reggaeton et rap tranchent avec la musique classique. L’explosion de violence, les giclées de sang et le démembrement des corps rappellent les bouquet final des films de Tarantino.
Ethique trash
Comment la chorégraphe souhaite-t-elle nous interpeller à travers cette pièce provocatrice ? La violence est omniprésente dans nos fictions et dans notre quotidien, laissant une empreinte profonde sur nos êtres. Florentina Holzinger propose de la magnifier, de la porter à son paroxysme afin de la représenter dans toute sa destructivité. Peut-être s'agit-il d'une démarche cathartique, une volonté de se libérer du poids de la violence en la dominant et en en devenant la maîtresse.
Face à cette impossibilité de sortir du schéma de domination qu’exerce la danse, la société ou la direction d’artiste sur les corps. Florentina Holzinger entend se réapproprier la violence et sublimer la transformation des larmes de la soumission en sang de l’empouvoirement. Aux antipodes de la « féminité » et du « care », espaces confinés auxquels le patriarcat circonscrit les femmes, la pièce impose sa sororité trash dans un grand choc visuel.