C’est en relisant des passages de Triste Tigre que cela m’est apparu comme une évidence. Neige Sinno nous offre une grille de lecture éclairante sur l’épreuve quotidienne que représentent les comptes rendus du procès Mazan.
Dans son livre, qui a bouleversé la rentrée littéraire de septembre 2023, elle revient sur les viols qu’elle a subis de ses 7 à ses 14 ans, commis par son beau-père. Elle tente de comprendre l’origine du mal, de se mettre « dans la peau du violeur ». Elle précise d’ailleurs que « le tabou, dans notre culture, ce n’est pas le viol lui-même, qui est pratiqué partout, c’est d’en parler, de l’envisager, de l’analyser. » Or, c’est exactement ce que produit le procès Mazan, un an tout juste après la parution du livre.
Un premier article paru en juin 2023 dans Le Monde faisait état de l’enquête datant de 2020 et de ces faits inconcevables : un mari avait sédaté sa femme pendant plus de 10 ans et avait recruté en ligne des hommes pour la violer. Plus de 80 hommes avaient été identifiés dans les vidéos scrupuleusement archivées par le mari, et 50 d’entre eux ont pu être appréhendés. Ce sont ces 50 qui comparaissent aujourd’hui devant la cour d’appel d’Avignon, après 48 jours de débats, qui laissent maintenant place aux plaidoiries.
L’article du Monde recensait déjà, à l’époque, les profils divers des prévenus, âgés de 26 à 73 ans au moment des faits, et issus de toutes catégories professionnelles. L’enquête avait exposé un florilège de systèmes de défense, dont on retrouve les échos devant la cour : « C’est sa femme, il fait ce qu’il veut avec », ou encore « J’avais le consentement du mari. » À cette époque, Gisèle Pélicot s’accrochait à son anonymat. Mais, entraînée par sa fille Caroline, qui a créé une association de lutte contre la soumission chimique et publié un livre, et après avoir visionné les vidéos avec ses avocats, son abattement s’est transformé en colère. Gisèle Pélicot décide alors de rendre son nom public, puis de sortir le procès du huis clos. Aujourd’hui, Gisèle Pélicot est célébrée comme l’emblème d’une lutte contre le patriarcat.
Le procès Mazan, par sa médiatisation, s’est imposé dans les conversations. Il est souvent considéré comme le procès de la domination masculine. Son ampleur en fait un cas d’école : ce que les féministes répètent depuis des décennies se traduit ici dans une réalité incontestable. Le viol touche toutes les catégories sociales ; il n’est pas le fait de monstres ou d’une altérité, et se déroule majoritairement dans la sphère intime. Même dans un cas aussi manifeste, avec des preuves accablantes, la défense a tenté de remettre en question la parole et la probité de la victime, exhibant des photos de Gisèle Pélicot dans des positions lascives. Une stratégie classique de la culture du viol, omniprésente dans les prétoires : euphémiser la violence et renverser la culpabilité sont des tactiques systématiques dans les procès pour viol.

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Dans Triste Tigre, l’euphémisation de la violence s’incarne dans les propos de la mère de l’autrice : « Il faut regarder ses bons côtés », disait-elle. « C’est ce que les témoins venus parler en sa faveur ont dit au procès. » Parce qu’« en dehors de ça, il était super. » Dans le procès Mazan, c’est le maire qui tient ce rôle en déclarant : « Ça aurait pu être pire. » De même, des témoins, compagnes des prévenus, se succèdent à la barre pour vanter les qualités de bons pères de famille et de maris aimants de ces hommes.
Neige Sinno écrit : « Mon beau-père n’a jamais prononcé le mot viol. Même devant le jury qui l’a condamné pour ce crime, selon lui, ça restait autre chose. » Bien que son beau-père ait reconnu les faits, il n’a jamais accepté de se qualifier comme un violeur. C’est exactement ce qui se passe au procès Mazan. Malgré les vidéos des viols, la majorité des prévenus affirment ne pas être des violeurs, faute d’intention de violer. Selon eux, le viol ne se perpétuerait qu’avec violence.
Ces hommes, comme le beau-père de Neige Sinno, refusent de se voir réduits à leur crime or c’est précisément ce que produit le viol : la négation d’une existence. L’appropriation d’un corps réduit à une « poupée de chiffon », comme Gisèle Pélicot se définit elle-même.
À la barre, le psychologue Mathieu Lacambre appuie cette ligne de défense : « Dans cette cour, quelqu’un qui a commis un viol est un violeur. Ces sujets qui continueront d’exister après ce procès, seront-ils des violeurs pour l’éternité, aux yeux de la société, de leur famille ? C’est là votre responsabilité de proposer une trajectoire, une alternative à la stigmatisation, tant en tant que victime qu’en tant qu’auteur." Ce que ces hommes ne supportent pas, c’est de ne plus être vus comme des sujets, mais comme des objets.
Le psychologue s’interrogera sur la définition du violeur et du prédateur sexuel, qui a agité ses confrères : « Le violeur, quelqu’un qui commet un viol, n’est pas systématiquement un prédateur sexuel. Est-ce que monsieur A. était un chasseur à la recherche d’une proie idéale qu’il allait consommer ? La réponse est non. » En parlant d’un prévenu en particulier, il évoque une « opportunité de jouir d’une séquence sexuelle qui lui est proposée ». Une sorte de vidéo YouPorn qui se convertirait dans le réel.
Dans les mots des intitulés des dossiers, comme dans ceux de la bouche des hommes, on reconnaît d’ailleurs le vocabulaire dégradant du porno : « Elle aime pas les Blacks, elle en a un dans le cul, salope de bourgeoise. » « T’as vu, il y a de la place. » « Ça fait des années que je la baise comme ça. » Venant doubler la violence sexuelle, c’est dans l’humiliation que semble loger ici l’excitation. Le narratif accentue la domination physique. La subordination est totale : le storytelling parachève l’action du sédatif.
Le sociologue Marc Joly, qui signe un nouvel ouvrage sur la perversion narcissique, identifie d’ailleurs ce ressort dans la volonté d’humilier Gisèle Pélicot. Cette femme qui dominait son mari par son capital économique et culturel, mettait en danger son rôle de dominant dans l’ordre hétéronormatif. À la lumière de cette interprétation, les viols à répétition et le contrôle du mari sur la vie de sa femme – il assistait notamment à ses rendez-vous médicaux, mettait ses absences sur le compte de la fatigue liée à la garde des petits-enfants – apparaissent comme une volonté de reprendre du pouvoir pour compenser un sentiment d’infériorité.
C'est une interprétation possible mais faut-il se demander pourquoi ? Dans Triste Tigre, Neige Sinno conclut que son beau-père l’a violée parce qu’il le pouvait. C’est un parallèle qu’elle fait avec les crimes de guerre, les soldats qui s’autorisent à violer et à abattre. Ces hommes – ceux de Mazan, comme le beau-père de Neige Sinno – ont évolué dans une société qui leur disait qu’ils pouvaient. S’approprier le corps d’une femme, selon leur désir. Les hommes violent parce qu’ils peuvent. C’est l’un des messages limpides du livre et de ce procès.

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On a beaucoup loué le courage et la dignité de Gisèle Pélicot. C’est manifeste, et cela contredit le profil psychologique d’une femme sous emprise qu’avait établi un premier expert. Gisèle Pélicot a décidé de quitter très vite le domicile familial, et si elle garde son patronyme, c’est pour mieux le laver. Pour ses petits-enfants qui le portent aussi, elle décide de le garder. D’abord discrète les premiers jours du procès, elle vient maintenant s’entretenir avec des jeunes filles dans le public, en rassurant certaines après le visionnage éprouvant de vidéos de viols sur son corps inanimé.
Il y a pourtant quelques dangers à porter Gisèle Pélicot en icône. Pour elle-même et pour les autres. Prenant en considération la versatilité du temps médiatique, d’une part, et d’autre part pour ne pas tomber dans ce piège de la catégorisation de la bonne victime. Une image qui pourrait renvoyer aux autres femmes victimes un modèle inatteignable. Moins fortes, moins dignes que Madame Pélicot.
Il faut bien sûr se réjouir du soutien autour de Madame Pélicot, des femmes qui l’ont saluée chaque jour avant et après l’audience. Se réjouir qu’elle ait eu le courage de faire de ce procès une vitrine pour que la honte change de camp. Enfin, un choix qu’on laissait entre ses mains. C’est aussi l’ampleur des preuves, les nombreuses vidéos, qui font paradoxalement de ce procès un cas hors norme. Dans les affaires de soumission chimique, les preuves sont souvent insuffisantes. De manière générale, les procès pour viol échouent à voir condamner les agresseurs présumés par manque de preuves. Malgré ces preuves accablantes, Gisèle Pélicot ne se voit pourtant pas épargnée les questions sur ses pratiques sexuelles. Elle dira d’ailleurs se sentir « humiliée » et comprendre pourquoi les victimes de violences sexuelles ne portent pas plainte.
La justice pénale en question
La photojournaliste Anna Margueritat, qui couvre le procès Mazan, décrit dans un article paru dans Politis une ambiance sexiste durant les premiers jours d'audience : des accusés qui se serrent les coudes entre eux, sociabilisent au café du coin. Leur supériorité numérique crée une tension dans le tribunal. Certains insultent des journalistes, fixent les femmes dans l’assemblée. Alors que Gisèle Pélicot avait décidé de lever le huis clos pour que la honte change de camp, les premiers jours du procès ont été le nouveau théâtre de la domination masculine en action.
Dans cette ambiance de solidarité masculine qui se recrée entre prévenus, on identifie un nouvel atout à la levée du huis clos – que la défense avait d’ailleurs tenté de faire échouer. La plupart des personnes qui viennent assister au procès sont des femmes, de tout âge et de tout horizon. En soutien à Gisèle Pélicot. C’est un théâtre de la société qui se rejoue ici : le boys club de la domination masculine face à la résilience solidaire des femmes.
Ces 51 hommes devraient logiquement finir derrière les barreaux. Est-ce pour autant que la société s’en portera mieux ? Quel soulagement pour Gisèle Pélicot ? Neige Sinno se pose aussi la question de l’emprisonnement : « Qu’est-ce que ça a à voir, sept ans à torturer un enfant et sept ans passés dans un établissement payé par les impôts du contribuable, dans une certaine solitude, un certain dénuement, dans la honte mais tout de même, quel est le critère d’équivalence ? Et de toute façon, est-ce vraiment une équivalence que l’on cherche ? »
Comme le dit Neige Sinno, et comme le disent beaucoup de victimes de violences sexuelles, la justice dépossède les victimes de leurs besoins, de leur blessure. Ce qui serait la véritable salvation, le véritable sens à verser dans ces viols répétés – qui sont l’inverse même du sens –, ce serait ce changement de société que Gisèle Pélicot appelle de ses vœux.
Au-delà des individualités des prévenus, l’ampleur de l’affaire nous invite à dézoomer, à considérer le viol non plus comme un cas extrême, le fait de monstres déséquilibrés, mais comme un instrument de contrôle social* structurant notre société. Gisèle Pélicot ne s’y trompe pas : davantage que demander justice ou dénoncer l’impunité, elle appelle à une prise de conscience. Dans une société française où seulement 2 % des viols passent devant la justice, il serait illusoire de vouloir mettre sous les barreaux tous les violeurs. Le système pénal fonctionne sur son échec. La question ne doit pas être comment punir, mais comment les empêcher de violer.
Là encore, Neige Sinno nous invite avec une grande générosité dans les méandres de son trauma et nous aide à cheminer. Elle est devenue mère, et lorsqu’elle lave le corps de sa fille, elle dit être tout à fait consciente de l’ascendant qu’elle a sur elle, sur sa vulnérabilité d’enfant. Consciente qu’un tout petit décalage de ses doigts pourrait détruire sa vie. Une pensée intrusive. Neige Sinno sait pourtant parfaitement qu’elle ne le fera jamais. Plusieurs prévenus ont tenté de justifier leurs actes par les violences subies dans leur enfance. Qu’est-ce qui empêche la plupart des femmes de reproduire les sévices qu’elles ont subis ? De stopper l’engrenage infernal de la reproduction de la violence ?
« Mais pourquoi une victime devrait-elle systématiquement être perçue à travers cet étrange sentiment qu’est la pitié, à la fois faite de compassion et de condescendance ? » Neige Sinno parle aussi de cette impossibilité de se mettre à la place d’une victime d’inceste quand on n’a pas soi-même été victime. La violence est trop forte et inconcevable. Il y a peut-être ici une des clés : l’empathie. L’empathie que ressentent les femmes envers Gisèle Pélicot, les lettres qu’elles lui envoient, leur présence au procès. Des femmes qui ont elles-mêmes vécu des violences ou qui s’imaginent ce que cela peut être, qui s’imaginent que cela aurait pu être elles.

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La vigilance aussi doit changer de camp
Le huis clos est levé, les projecteurs de la presse nationale et internationale braqués sur l’affaire Mazan, mais ce sont majoritairement les femmes qui se sentent concernées. Les femmes pour aller assister au procès dans le public, les femmes journalistes en majorité. Les femmes pour tenir Gisèle Pélicot en empathie, les femmes pour briser le mur du silence autour d’elles.
Les journalistes qui suivent cette affaire au quotidien disent « la boue », « le marécage », « on ne s’habitue pas », et peut-être tant mieux. Autour de moi, nous nous confions entre amies, entre femmes, sur ce que ce procès nous fait. Certaines en éprouvent une grande colère, d’autres ont du mal à dormir la nuit, certaines préfèrent ne pas lire de peur d’angoisser davantage. Et je me demande si, pour l’instant, au lieu de provoquer le grand tournant attendu, la prise de conscience majeure, ce procès ne renvoie pas seulement les femmes à leur vulnérabilité, accentue leur vigilance et leur résignation.
C’est une réalité que la philosophe féministe Elsa Dorlin a conceptualisée sous le nom de « dirty care » : toutes les stratégies d’évitement que les femmes mettent en œuvre pour éviter de se retrouver confrontées à la violence. Un sourire nerveux dans un ascenseur, un pas pressé dans la rue la nuit, le silence en réponse à une agression sexuelle, l’indifférence opposée au harcèlement de rue. L’enjeu serait peut-être aujourd’hui de renverser cette hyper-vigilance.
Que nos livres, nos films portent des imaginaires désirables, portent de nouveaux scripts de séduction, que le porno se réinvente comme un lieu d’émancipation. Que les hommes qui se considèrent alliés se sentent concernés, qu’ils organisent entre eux des groupes de parole, qu’ils réfléchissent à leurs privilèges et à leur désir. Que l’hétérosexualité ne se résume plus à un système de contrainte sur l’existence des femmes. Qu’après la honte, la vigilance aussi change de camp.
La force du récit de Neige Sinno est qu’il nous interroge tous, proches, victimes et agresseurs : « Ce linge sale, cette ignominie, ce n’est pas la mienne, c’est la nôtre, elle est à nous tous. » Neige Sinno et Gisèle Pélicot font du viol une chose commune, refusent de l’enfermer dans le non-dit du foyer.
Le viol est une oppression systémique, le produit d’un système de subordination des femmes, d’objectivation de leurs corps. Les femmes grandissent avec la peur du viol ; cette peur aliène profondément leur vie. Pour être à la hauteur de ces deux femmes Gisèle Pélicot et Neige Sinno, du cadeau qu’elles nous font en partageant leur histoire, il nous faut interroger l’hétéronormativité. Interroger la pornographie, la fabrique d’un fantasme, d’un désir, les scripts qu’on s’impose et qu’on impose. S’interroger sur ce qu’on met derrière les mots et sur les maux. Redéfinir l’amour, le sexe, le genre, et panser nos plaies.
Suivons Neige Sinno : « Cette phrase prononcée par l’historien des guerres mondiales qui m’a hantée pendant des années – Ils violent parce qu’ils le peuvent – j’ai envie aujourd’hui de la détourner à mon compte, comme si elle était toujours la réponse valable à la question pourquoi. Pourquoi est-ce que j’écris ce livre ? Parce que je peux. » Parlons, parce que nous pouvons.
*Approfondissements théorique
Le continuum des violences sexuelles dans l’hétéronormativité
En ouverture du procès de Mazan, le président de la cour criminelle d’Avignon acceptait le narratif des prévenus : « On va parler de scènes de sexe plutôt que de viol. » Avalisant ainsi la théorie féministe qui inscrit la séduction et les violences sexuelles dans un même continuum de l’hétérosexualité. Le viol ne devrait pourtant rien avoir à voir, avec le sexe.
Au lendemain de la libération sexuelle de mai 1968, les féministes de la deuxième vague ont particulièrement mis en lumière les violences sexuelles faites aux femmes dans les années 1970 et 1980. Si un certain courant s’est employé à dissocier le sexe de la violence, à considérer que le viol était en dehors de la sexualité – pour Susan Brownmiller, « le viol relève de la violence, le coït de la sexualité » – les études empiriques ont contesté cette approche théorique. Les observations et les études qualitatives des sociologues ont montré, au contraire, une forme de continuité dans les violences faites aux femmes dans un contexte hétérosexuel.
Dans un article retraçant la recherche sociologique sur les violences sexuelles dans les années 1970 et 1980, Liz Kelly et Marion Tillous articulent le concept de « continuum des violences sexuelles » : « Bien que le viol soit une forte exagération du pouvoir sexué, il contient les codes et les rituels de la rencontre, de la séduction et de la conquête hétérosexuelles. »
Selon elles, l’hétérosexualité contient une forme de continuité entre les agressions sexuelles, le harcèlement, les attouchements et le viol. « Plutôt qu’un nivellement de la gravité des violences ou une mise en équivalence des formes et des effets, le continuum rappelle en quoi la domination et l’appropriation du corps des femmes par les hommes constituent un lien structurant. »
À la fin des années 1970, la sociologue britannique Jalna Hanmer montre que les violences contre les femmes constituent des instruments de contrôle social. Les structures étatiques ne sanctionnent pas systématiquement ces violences et, en cela, les avalisent. Aujourd’hui encore, seuls 2 % des viols aboutissent à un procès, et 0,6 % sont punis. Le viol vient souvent sanctionner un comportement perçu comme non conforme : une femme alcoolisée, une femme lesbienne refusant de se soumettre à l’hétérosexualité, ou encore une femme habillée de manière provocante seront souvent jugées socialement responsables de ce qui leur arrive. Ce caractère correctif explique le mécanisme d’inversion : le viol est le seul crime où le sentiment de culpabilité se transmet de l’agresseur à la victime. L’agresseur rejette la responsabilité, et la victime se sent coupable. Le contrôle social opère ainsi : les femmes s’interrogent sur leur comportement, élaborent des stratégies d’évitement, intériorisent le danger et la nécessité d’éviter le viol. La structure du pouvoir patriarcal crée le terreau fertile de leur culpabilisation.
Le consentement en question
En droit pénal français, le viol se définit par le recours à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Le viol est donc caractérisé par l’intention de l’agresseur, non par celle de la victime. Les femmes sont présumées consentantes. « C’est un mécanisme probatoire permettant de ne pas dépendre de la parole des femmes. En retour, c’est l’expression de stéréotypes sexistes », résume Catherine Le Magueresse, juriste et autrice de l’ouvrage Les Pièges du consentement (éditions iXe).
Catharine MacKinnon, juriste et philosophe féministe radicale américaine, connue notamment pour son travail sur la législation contre le harcèlement sexuel, est particulièrement critique à l’égard du concept de consentement. Selon elle, le consentement est impossible dans les conditions de soumission imposées par la société patriarcale. Bien que cette vision globalisante puisse sembler réduire l’agentivité des femmes, elle permet de penser la violence de manière systémique. C’est d’ailleurs sous l’impulsion de ce courant féministe que le consentement a été retiré de la loi française dans les années 1980. Selon cette vision, le consentement, dans un contexte empreint de domination, ne pourrait jamais s’exprimer de manière éclairée.
Aujourd’hui, certaines féministes militent pour que le consentement soit réintégré dans la loi française, afin que la loi ne présume pas un consentement par défaut des femmes et que le viol ne soit défini que par l’attitude de l’agresseur. Cependant, de nombreuses juristes féministes s’inquiètent que cette modification de la loi n’alourdisse la charge de la preuve pesant sur les plaignantes. Elles soutiennent que le consentement est, de fait, déjà au centre des débats lors des procès pour viol.