jumel.sandra (avatar)

jumel.sandra

Journaliste culture et politique

Abonné·e de Mediapart

46 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 mai 2024

jumel.sandra (avatar)

jumel.sandra

Journaliste culture et politique

Abonné·e de Mediapart

Les Linceuls – des femmes désincarnées, le male gaze incarné

Un mari endeuillé obnubilé par le corps de sa regrettée Becca, un cimetière high-tech qui permet d’assister à la décomposition du corps en temps réel, une profanation louche et des théories du complot. « Les Linceuls » de Cronenberg est un film maussade qui objective le corps des femmes. En compétition en sélection officielle au Festival de Cannes.

jumel.sandra (avatar)

jumel.sandra

Journaliste culture et politique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


Ce qu’il y a de plus triste dans Les Linceuls n’est sûrement pas la mort de Becca, emportée par un cancer dévorant. Ce n’est pas la passion morbide de Karsh (Vincent Cassel) pour le corps en décomposition de sa défunte épouse. Ni cette idée étrange que lui souffle cette passion, de construire une technologie qui puisse en temps réel maintenir un lien visuel avec les dépouilles que le temps décharne. Ce n’est pas non plus son envie de rejoindre sa douce dans son dernier repos — une fin anticipée aurait épargné nos souffrances et abrégé cet interminable couloir de la mort. La scène d’ouverture alors, où Karsh présente à son rendez-vous galant le squelette de son ex-femme — digne de finir en pôle position d’un Neurchi de date claqué ? Non. Son désir, pas si longtemps réprimé, d’expérimenter la petite mort dans le corps de Terry, sœur jumelle de sa défunte épouse ? Toujours pas. Le plus triste c’est peut-être de savoir que Cronenberg se projette dans les traits de Karsh - la ressemblance est frappante entre les deux hommes - que ce film est une sorte d’hommage puisqu’il l’a écrit à la suite du décès de sa femme, Carolyn Zeifman (1950-2017). Le plus triste, c’est aussi de savoir qu’on aura beau enterrer ces deux heures dans le cimetière des mauvais films, les écrans récalcitrants continueront de le retransmettre.

Illustration 1
Vincent Cassel, Diane Kruger © ©Pyramide Distribution

Le complot, la vérité, le désir, l’accent anglais de Cassel et de Kruger. Ici tout sonne faux. Peut-être est-ce le résultat d’un parti pris esthétique animé par un esprit mortifère. Les Chinois, non les Russes, sont à la manœuvre, ils veulent surveiller nos vieux os. On se croirait dans un mauvais James Bond. Comme si les acteurices aussi jouaient les ectoplasmes, le film est complètement désincarné, personne ne semble penser ce qu’il dit, résultat tout le monde s’ennuie à mourir. Seule l’élégance du linceul en soie donne envie de troquer son duvet sarcophage 0 degré pour une combinaison mortuaire et un style d’enfer pour la prochaine collection hiver des randonnées canadiennes.

Au-delà de son intrigue plus que décevante, le film porte en soi un propos éminemment problématique. Karsh endeuillé est avant tout obnubilé par le corps de sa femme disparue. En défunte, Becca apparaît uniquement nue, le corps mutilé, et Karsh ne cesse de le répéter : ce qui lui manque, c’est de posséder ce corps. Sa jalousie envers un ancien amant de sa femme, qui l’avait possédée avant lui, le délivre finalement de sa loyauté envers ce corps évanoui et il s’autorise alors à posséder le double de sa femme, sa jumelle. Celle-ci était de toute manière disponible et partante bien sûr… Sans parler de l’avatar de Becca, une IA qui accompagne le  quotidien de Karsh, s’acquittant de toutes les tâches chronophages qui n’exigent aucune corporéité. Lorsqu’une version de l’épouse disparait sa jumelle ou la technologie peut bien la remplacer. La boucle de l’objectivation du corps des femmes est bouclée. Le male gaze réincarné.

En compétition en sélection officielle au Festival de Cannes. Les Linceuls de David Cronenberg, avec Vincent Cassel, Diane Kruger, Guy Pearce 1h56. En salles le 25 septembre.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.